De l’ivraie à la mandragore…

Les belles mandragores naissent sous les gibets

Textes et poèmes fleurissent sur l’alphabet

Voici quelques variations dument engendrées

Non par des pendus mais des artistes madrés

♠  Mandragores

Une mandragore, à n’en pas douter c’était une mandragore !

Recourbée sur elle-même pour contempler son ventre distillant alentour des radicelles minces comme des cheveux de démons giclant de son sexe pour ensemencer la terre assoiffée. Elle se campa sur ses jambes torses et brandit ses moignons maudissant le ciel qui depuis des siècles laissait faire.

Ses pétales violets avaient déchiré la butte Villon, anciennement dénommée Montfaucon. Sa racine noire luisait, la couleur des femelles selon certains, les blanches étant les mâles : le code des tons cul par dessus tête ! Tudieu, elle n’était ni ceci ni cela mais les deux à la fois, comme toutes créatures bipèdes, bicéphales, bisexuées. Où est le mal ?

Elle s’était extirpée de la fange grâce à un chien noir qui passait par là et pissa. Elle ne l’avait pas occis ni rendu fou. Encore accrochée à sa queue, elle avait tracé trois cercles et dansé en scrutant le Levant droit dans ses lueurs s’étonnant que le soleil accepte, une fois de plus, d’éclairer le désastre avéré. Ce rite accompli, ils déterrèrent toutes les mandragores et les belladones du lieu.

Les corps dénudés rutilants de rosée avançaient sur leurs moignons, secouant leurs têtes altières, encensant l’univers en souffrance pour refouler la noire mélancolie, la froide dépression et l’oppression cynique.

Celles qui menaient le groupe se nommaient Dudaïm, Kirkaïa, Mandra. Les autres murmuraient, modulaient, déclamaient la Ballade des Pendus :

« Frères humains qui après nous vivrez

N’ayez le cœur contre nous endurci

Car si pitié de nous pauvres avez

Dieu en aura plus tôt de vous merci

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre. »

Ces mots et d’autres poèmes apaisèrent les pauvres humains décervelés devenus qui eurent la chance de les croiser.

Encres de Jean-Luc Nieto – Portfolio

♠  ♠ Mandragore

Une mandragore élancée

attendait le prochain pendu

pour enfin être ensemencée.

Les corbeaux les aiment dodus.

Hélas les pendus se font rares.

Pauvre mandragore ingénue.

Les corbeaux maigres, peu bavards,

picorent le temps et l’imprévu

et le jus rouge des cerises.

Mais sans pendu plus de corde.

Qu’importe, le bonheur s’aiguise

quand vent et soleil s’accordent

Monotypes de R. Chartrain – Livre unique

♠ ♠ ♠ Une Mandragore

Au lieu-dit Montfaucon,

où l’on pendit Villon,

la belle mandragore

de lui venait d’éclore.

Un vieux chien noir passa

et sans façon pissa

comme un triste sire

Ses pétales frémirent :

– C’est pas malin le Chien,

sors moi de ce pétrin.

Mais il avait ouï dire

qu’elle rend fou, voire pire,

donne la male mort

perverse mandragore !

– Préjugé ! Ne crains rien

c’est nul, c’est dépassé,

j’ai bien d’autres projets.

Le chien hésitait

mais sa vie de chien

ne lui disait plus rien…

Baissant son arrière train,

il creusa bel et bien

pour excaver la terre

en un vaste cratère.

Soudain, il se souvint :

pour changer le destin

contrecarrer le sort

outre un confiteor

il convient d’amorcer

trois cercles et danser

la Saint-Guy, puis l’extraire

en disant sa prière

les yeux sur le Levant.

Où se trouve l’Orient ?

– Derrière toi, benêt !

– Soit, mais comment danser ?

– Courre après ta queue.

Le chien, un peu honteux,

dansa à sa manière,

Mandra sortit de terre

un rhizome tout blanc,

un mâle par conséquent.

Le code des couleurs

dans la flore est un leurre.

À l’aide de ce bras puissant

vigoureux conquérant

l’ardente Mandragore

fixa la queue du cador

à une autre racine.

Tandis qu’il s’échine

surgit une Diva

charnue qui exhiba

le legs de François Villon.

Sans souci des qu’en dira-t-on

avec Ferré pour compagnon

il essaima quelques chansons

le chien Misère sur ses talons

Herbier – Livre unique – Pastels gras de R. Chartrain