« Objets inanimés »

Le sort des poètes est d’être réduit, au fil des ans, à un ou deux vers qu’on leur attribue avec hésitation. En l’occurrence, le titre ci-dessus est un emprunt à Lamartine qui a le privilège d’avoir deux poèmes  référents :

« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » surnage au-dessus du lac de L’Isolement.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

qui s’attache à notre âme et la force d’aimer » interroge Harmonie II.

C’est peu, mais assez équilibré puisqu’il y a d’un côté des êtres, de l’autre des objets. Et justement, je cherchais des objets évoquant des êtres chers, d’où sans doute l’irruption de ces vers.

Dans un texte antérieur, je répliquais à cette question lancinante quant à l’âme des objets « Oui, elle est noire ! », j’avais remarqué qu’ils se dissimulaient quand je les cherchais.

Souvent, ces « objets inanimés » s’acoquinent avec le fameux « Aboli bibelots d’inanité sonore » de Mallarmé qui me réjouit. Certes, il y a objets et objets : les bibelots constituant une catégorie négligeable.

J’ai récupéré une petite valise qui m’a accompagnée dans un sanatorium lorsque j’avais dix ans. J’y transportais mon univers. Peu de choses,  nous n’étions pas autorisés à avoir des objets personnels, ni même à porter nos propres vêtements.  Des enveloppes à l’adresse des parents, des timbres, un anneau en caoutchouc d’un jaune lumineux. Je ne me souviens pas avoir joué avec. Du reste, personne ne jouait dans ce groupe envoyé par « L’hôpital des enfants malades ». Quelques cartes reçues s’ornaient de petites filles joufflues au nez retroussé, vêtues de façon anachronique. Un couteau que nous étions censés  lancer dans le sable, seule activité qui nous fut suggérée…

Ce séjour, vécu douloureusement, engendra à mon retour, un doute quant au réel tant j’avais souhaité et imaginé ce moment… Ce qui provoqua -entre autres- une série de tocs (Troubles Obsessionnels du Comportement). Je vérifiais des dizaines de fois par la vue et le toucher  que la porte était fermée, que le compteur à gaz était fermé, tout en murmurant « fermé, fermé, fermé. »

J’ai souhaité ranger dans cette petite valise, outre les souvenirs de cette période, des objets (sauvés in extremis) évoquant mes parents. Les objets sont des fragmentations du temps.

Un petit tableau peint par mon père, des castagnettes offertes par son  ami Espagnol. Les seuls objets maternels sont liés aux travaux de femmes… (J’aurais préféré des objets plus personnels.) Le pochon de boutons,  dans lequel j’enfonçai avec gourmandise mes mains, trésor frais, doux, crissant. Trop gros pour la valise, j’ai opté pour des aiguilles à coudre plantées dans une pochette en tissu confectionnée par elle.

Je détiens quelques bijoux, mais elle ne les portait pas. J’ai accroché à mon cou un petit pendentif pour le palper comme d’autres égrainent leur chapelet. Geste artificiel qui ne m’apaise pas, ne me console pas.

« Objets inanimés », où est mon âme ?