Centenaire de Léo Ferré

En 2016, centenaire de sa naissance (24 août 1916), je reprendrai mon crayon de pèlerin et le chemin des Salons du livre, jalonné de lieux de conférences afin de porter la parole poétique et musclée de Léo Ferré. Si les Ferréistes sont nombreux, les antis existent également, ainsi que la catégorie de ceux « qui savent » ; dans le Lot, où il vécut cinq ans, ils sont nombreux.

Évacuons d’abord les antis qui reprirent vigueur et hargne en entendant parler d’un livre pipole (vocable d’origine anglaise) et picabou (contraction qui désigne un stade de l’évolution enfantine). Ce regain me valut la remarque fielleuse d’une visiteuse qui passait devant mon stand :
– Ferré, c’est pas tout blanc…
– Non pas, c’est noir et rouge !
Il me fallut un bon quart d’heure pour redescendre de ma juste colère.

Léo Ferré n’avait besoin de personne pour se juger sans complaisance : « Sans être un saint ni un salaud Je ne vaux pas le moindre cierge » (Ils ont voté). Dans L’idole « Les matins civiles quand j’me prends pour moi… Regardez-moi bien, j’suis qu’un artiste ». Et je pourrais multiplier les citations.
Les critiques que véhiculent les antis, non sur l’œuvre mais sur sa vie, sont toujours les mêmes bien qu’elles ne tiennent guère la route, tiens justement : la voiture ! Pendant une bonne dizaine d’années, les véhicules du poète tombaient toujours en panne parce que d’occasion et rafistolées. Un jour, il put s’en acheter une neuve, qui roulait, il le fit ! Ce qui ne l’empêcha pas de monter dans ma 2 CV ou dans la voiture d’un tourneur du Sud Ouest qui se penchait par la fenêtre en conduisant pour suppléer aux balais essuie-glace défaillants. Sur ces aspects matériels, le mieux est de lire « Les années blêmes », autant de pages bouleversantes parues dans Les chants de la Fureur – Éditions Gallimard (2013).

Deuxième catégorie, ceux qui savent. Je ne prendrai qu’un exemple.
– Ma mère l’a rencontré et il n’a pas été aimable.
– Ah bon, moi je l’ai toujours vu gentil avec les petites gens…
– Oh, ma mère était une grande Dame…
– Ah, ceci explique peut-être cela… Pour ma part…, dans un restaurant, après un concert, nous mangions des pâtes en colle. La serveuse demanda « Si ça allait ? ». Léo avala la boule gluante et fit un brave sourire de remerciement. Elle s’éloigna et il nous dit tout bas : « En Italie, tu fais des pâtes comme ça, t’es mort ! » et il éclata de rire.

La troisième catégorie a le mérite d’offrir une grande variété d’individus. Certains figurent dans ma nouvelle intitulée « Coïncidences » (Ricochets).
Beaucoup me rapportent qu’ils ont découvert la poésie grâce à Léo Ferré soit par les poètes qu’il mit en musique, soit par ses propres textes. L’un d’eux me raconta qu’il apprit par cœur « La Mémoire et la Mer », sans comprendre la totalité du texte mais la musique des mots l’exaltait. Comme il est spéléologue, il descend dans les grottes du Quercy pour déclamer ce poème. Il précisa « Même, dans des grottes sèches. » Ce petit plus m’a ravie. Comme bien d’autres, il a appelé son fils… Léo.
Il y a ceux qui, dans des moments douloureux, se réfugient dans sa poésie et sa musique. Je me souviens d’un jeune homme ému aux larmes qui écoutait sans cesse les textes comme La Solitude, La Mélancolie, La mort, Les amants tristes. J’expliquai à ce Werther qu’il y a dans l’œuvre de Léo Ferré des chansons solaires et d’autres pleines d’humour et de joie…

Léo Ferré était un méridional qui aimait la vie : les bons mets « tes plats mijotés tellement qu’on dirait manger d’la luxure » (Ça t’va), les bons vins. Je fis mon éducation papillaire en puisant dans ses poèmes… « Le pinard élémentaire qu’il prend pour du Château Margaux » (Thank you Satan). Et il célébrait le corps féminin sans rejet, sans tabou : Cette Blessure, La Banlieue, l’Amour, Ta Source, Ton Style…
Tout récemment, un écrivain m’a dit qu’en apprenant la mort de Léo Ferré, il avait alors dix huit ans, il s’était enfermé trois jours dans sa chambre en écoutant tous les disques ponctués par ses sanglots. Aujourd’hui, à quarante ans, son iPad se régale d’un florilège de chansons de Léo.
Avec tous ceux là, je chante, on se congratule, on se fraternise et ça fait chaud.

Pour finir, je parlerai d’un acheteur qui me révéla avec émotion que Ferré avait  grandement influencé  son existence.
– Ado, j’écoutais ses chansons en boucle, j’aimais particulièrement « La Gitane » :
« T’es bien roulée dans ton tabac
Viens que j’t’aspire au bout d’mes doigts
Comme un’frangine à la dérive
Qu’a son tabac dans ses archives… »
C’était tellement…, tellement sensuel que je me suis mis à fumer.