Culturelle randonnée…

Je ne pouvais pas soupçonner qu’en participant avec quinze artistes à la réalisation d’un chemin d’Arts,  je basculerais dans un repli du temps…

Dans le Lot,  quelques parcours jalonnés d’œuvres d’art et bordés de ce que l’on nomme le petit patrimoine (cazelles, puits, fours, murets) se faufilent dans les vallées ou sur les causses.

C’est à partir de l’ancien foirail de Cabrerets que le chemin dénommé « Chemain Faisant » s’élance. Ce village niché entre une rivière et des falaises qui abritent la grotte du Pech-Merle, haut lieu de l’art pariétal, a voulu ainsi marquer le présent. Deux châteaux s’étaient glissés au cours des siècles dans le décor : celui dit du diable, semi troglodyte incrusté dans la falaise et celui du Seigneur Gontaud dont les tours et les mâchicoulis se dressent sur un escarpement rocheux (XIVe siècle).

Des totems marqués par la main inversée des hommes de la préhistoire nous mènent d’une œuvre à l’autre : sculptures de fer ou de terre, céramiques, tableaux, estampes, poème… Lors de cette promenade de quatre kilomètres, il faut être attentifs pour n’en manquer aucune car elles se fondent dans l’environnement comme le voulaient les organisateurs, tant dans la partie basse qui zigzague entre les maisons et les ponts que dans la partie haute.

Celle-ci emprunte un raidillon qui monte vers « Le bout du lieu » en longeant des demeures lovées dans la roche et quelques jardinets. Il m’arrive de me tromper de nom et de dire le bout du bout ! Il est vrai que, tout là-haut, après avoir admiré une dernière fois les toits de tuiles, les tourelles et tours du village ainsi que l’eau vive du Célé, on se retrouve sur un chemin de chèvre dans un étrange paysage qui semble être un point ultime.

En ce lieu, de grandes pierres plates forment des gradins, ponctués de genévriers et autres arbrisseaux piquants. Là s’élève le totem portant mon poème Les Quatre Saisons illustré par les sérigraphies d’Hélène Périer (voir les livres d’artistes du site pour découvrir totem et paysage.)

Quelques mètres plus loin, au flan de la colline, on distingue les ruines d’une ancienne auberge envahies par la végétation. En particulier, par les feuilles sombres et les racines velues et puissantes d’un lierre qui s’accrochent à l’aide d’innombrables petites pattes suggérant quelque animal menaçant. Un abri sous la roche servait de réserve pour garder boissons et denrées au frais.

Avant la construction de la route qui longe le Célé, ce méchant chemin reliait Cajarc à Cabrerets en passant par Marcilhac et son abbaye et, au-delà, Le Puy à Compostelle. Désormais, seuls quelques randonneurs et autres pèlerins se risquent par cette sente belle mais sauvage.

Le nom de cette auberge m’a été révélé par une vieille femme au fort accent, j’ai cru comprendre Auberge des Saulnes ou quelque chose d’approchant…

Par une journée cuisante, j’ai parcouru le chemin dans le but de photographier chaque œuvre. J’ai aussi réalisé quelques clichés des ruines et de la cavité. Après quoi, je me suis allongée à l’ombre du rocher près d’une pierre levée qui semblait marquer l’entrée de l’auberge. Il faisait bon, je percevais montant du fond de la vallée les clapotis de la rivière. Le sommeil allait me gagner lorsqu’un bruit de pas sur la caillasse retentit.

Un homme vêtu de hardes, portant une hotte, un vieux chien sur les talons apparut. Il s’installa à mes côtés et entreprit d’étaler tout autour le contenu de sa hotte et autres sacs accrochés à sa taille. Il déposa des bobines de fils, des peignes, des fichus, de petits livres à la couverture bleue… Sans m’avoir jeté le moindre regard, il dit :
– Je suis le Colporteur. La dernière fois que je suis venue ici, à l’Auberge noire, Fanzine m’a donné la soupe, le pain et le fromage et je me suis endormi près du feu. Où est-elle ?
– Je, je ne sais pas… Je ne la connais pas.
– J’ai rêvé, j’ai rêvé à des animaux qui parlaient du bout du lieu. Je leur ai demandé : mais quel lieu ? J’ai sans doute parlé tout haut car c’est Fanzine qui m’a répondu :
– Le lieu, c’est ici, c’est l’Auberge noire.
– Le chat de Fanzine avait pris une pose avantageuse genre sphinx qui m’agaça, d’autant qu’il inquiétait mon chien, alors j’ai lancé :
– Ça pour être noire…
– Avant elle n’était pas ainsi et j’étais belle.
Des voisins occupés à papoter et picoler beuglèrent : « Toujours les mêmes fables ! »
Un homme au visage léonin déclara :
– On dit le Lieu à cause d’une grande bataille qui s’y déroula. Mon arrière grand-père…
– Il fantasme le bougre, marmonna le goitre d’une femme au teint jaune.
Un autre villageois fort docte prit la parole :
– Tudieu ! Au bout du bout du lieu, il y avait l’Auberge Noire, c’est tout ! C’était une gargote et le couple qui la tenait coupait le vin d’eau, servait des champignons vénéneux et faisait trop cuire l’omelette. Les assiettes et les verres étaient dépareillés, ébréchés et gras. Par les nuits d’orage, ou autres, certains voyageurs, en particulier les étrangers qui ne connaissaient pas les usages, y disparaissaient.
– Oui c’est vrai, je l’ai entendu dire. Et des fois, on retrouvait leurs cadavres dans les ruines du Château du Diable : on lui faisait porter le chapeau.
– En plus des cornes ?
– Ne plaisantez pas avec Lui…
L’homme savant reprit la parole :
– Les châteaux du diable ne manquent pas, quant à l’auberge… Il y avait dans les Pyrénées une Auberge rouge où les gens étaient proprement assassinés : c’est une tradition, alors pourquoi pas en Quercy ?

Je me redressai d’un coup, la gorge nouée, j’étouffais. Les yeux écarquillés, j’inspectais les alentours. Le soleil avait décliné, le relief du paysage s’était adouci, la terre rejetait une odeur de chaud.

Je ramassai hâtivement mon sac et mon appareil photo. C’est alors que je vis, posé sur la grande pierre, un petit livre bleu sur lequel était écrit : L’Auberge Noire.