Éphéméride du bien être

J’avais entrepris de lister les moments heureux de mon existence trouvant les autres trop envahissants, peut-être en raison d’un caractère chagrin ou d’une mémoire axée sur le négatif…

Sans le savoir, en exécutant cette démarche, je rejoignais des pratiques de psychologie positive qui connaissent depuis quelques années un grand succès. (La méthode Coué, pourtant souvent moquée, était pionnière  en la matière.)

L’un des exercices proposés implique d’évoquer, juste avant de s’endormir, trois moments agréables vécus dans la journée. Cette proposition me parut jouable. Cependant je m’interrogeais sur la notion d’agréable et sur la durée du moment. Le processus semblant autoriser une certaine souplesse, je décidai de m’y confronter.

Dès lors, je notais mentalement au fur et à mesure du déroulement d’une journée ce qui pourrait être retenu. Ainsi j’avais contemplé une aube  dans des tons verts et jaunes, j’avais croqué une  croûte de pain bien craquante pour combler une fringale, j’avais échangé un sourire avec un  jeune enfant inconnu. Était-ce suffisant ? Oui si l’on songe aux petits matins gris, aux pains mous, aux visages hargneux.

Les jours où je m’adonne à une activité physique, j’en tire, le plus souvent, une grande satisfaction. Donc le mardi et le samedi m’offrent un moment agréable, il suffira d’en trouver deux autres pour compléter. Si j’avais une activité physique journalière, pourrait-elle être systématiquement comptabilisée ?

En ce qui concerne les aurores, pas question de recourir à la sonnerie d’un réveil, ce serait la négation de l’aspect agréable d’autant que le soleil n’est pas toujours coopératif. Si je peux combler ma faim avec des mets savoureux trois fois par jour, j’ai déjà le compte. Mais je pressens que seuls les affamés, les malheureux pourraient s’en prévaloir.

Cet exemple comme le précédent introduit l’idée que « l’exceptionnalité » est nécessaire.  Aujourd’hui, j’ai réglé un problème matériel lancinant, est-ce un moment agréable ? Non, « l’agréabilité » est d’un autre ordre.

Quels sont les synonymes d’agréable ? Le dictionnaire semble assez perplexe : plaisant, amusant, satisfaisant, acceptable, convenable, correct, enviable, suffisant, honnête. Il ratisse large. J’admets  « plaisant, satisfaisant, enviable », à la rigueur « amusant » mais rejette les autres, trop tiédasses.

Bien que solitaire par goût, il arrive que certains échanges  soient apaisants. Me faudrait-il aménager des journées en fonction de rencontres qui pourraient se révéler bénéfiques ? Le fait d’être à l’affût de ces moments positifs est en soi amusant,  mais si aucun échange satisfaisant ne se produit, je verserai dans le désagrément, voire la déception, l’amertume, la déprime ou pire.

Chaque soir, un peu inquiète, je me concentre afin d’aligner les trois moments recevables.

Il y a les jours fastes où ils sont nombreux et sans conteste. Est-il possible de stocker le surnombre pour les jours de pénurie ? Ces jours pesants où il faut s’accrocher à de tout petits riens. Jusqu’où peut-on aller ? Une trop maigre collecte transforme cet exercice de relaxation en supplice, avec un arrière goût d’échec.

Mais, globalement, en étant vigilant, cette approche modifie la perception que l’on a du vivre et peut offrir un antidote à la morosité, ne serait-ce que lorsque mon esprit me propose un instant dérisoire pour compléter une série déjà banale et tristoune, ce qui finit par me faire sourire : ce n’est pas si mal.