Le damier du fou

Le fou, ayant perdu sa diagonale,  délaissa l’échiquier pour un damier. Il entreprit, avec la complicité du hasard, de réunir des pièces. Restait à inventer les règles du jeu.

Il examina chaque pièce en  commençant par la Dame, la blanche (un peu beige), une aigrette sur la tête. Elle serait statique. Le valet, vêtu d’une livrée bleue, agiterait l’éventail. Quelques dominos délaissant leur boite agrémenteraient les cases noires sans tenir compte de leur nombre de points. La boule de pastel bleue testerait son ombre sur une case blanche. La burette s’arquerait voluptueusement en écho au gros clou de fer forgé. Le bougeoir en cuivre, transformé en coquetier, présenterait fièrement un œuf peint sur lequel un gros chat guette un  félin plus fin, allongé aux pieds de la Dame.

Le fou, assis sur une sorte de trône désignait sa tempe au pistolet dressé sur la tabatière. La pierre semi-précieuse bleuâtre avec une pointe d’orange aguichait le pastel.  Cupidon dressé sur un socle de cuivre bandait son arc à côté de la cloche en verre emprisonnant trois minuscules dés à jouer, une languette permettant  de déclencher leur roulement. Le fou disposa à sa gauche le roi de pique chargé de le surveiller, tandis qu’un jeton noir contrôlait le tout. Le sablier les avait rejoints.

Avant de commencer, il dénombra les pièces du côté noir : onze. Dans le camp adverse, en plus de la Reine emplumée, il y avait un goulot d’amphore, la dame de cœur, trois dés à  coudre décorés de hiboux, un petit coquillage, une bogue d’arbre délicatement ciselée, une cloche vert de gris, un caillou ovale crémeux, soit treize pièces. La cloche suggéra au gros clou qui ressemblait à un cône de rejoindre la burette afin d’équilibrer le jeu : soit douze et douze. Les trois dominos face contre le damier – donc neutres- offraient une passerelle d’un camp à l’autre.

« Qui actionnera le dais des dés ? » demanda le fou tout en décidant que ce serait lui. « Six + six + trois = quinze. Voilà qui est excellent. »  « Donc, examinons, la sixième pièce à partir de ma droite, la sixième pièce à partir de ma gauche et la troisième en face de moi. Qui gagnera ? »

Personne ne sut répondre. Finalement, le fou n’était pas assez fou pour inventer un jeu. Aussi les deux camps décidèrent de danser, de chanter et plus si affinités.

Photo CB