Affolements

Du fond de l’insomnie, pour m’apaiser et m’endormir, je me murmure : tu es en sécurité, bien au chaud… Aussitôt m’apparaissent des cohortes de sans domicile, d’exilés et autres malheureux…  L’édredon s’effiloche.

Dès le réveil, commencent les « Il faut que… » : obligations et  contraintes se bousculent. Je me raisonne : s’occuper des chevaux, des chats est une activité sympathique. Ouvrir la boîte aux lettres électroniques, à la condition de faire abstraction de la centaine de messages sans intérêt ou offensants pour découvrir les deux, trois messages agréables ou intéressants  à défaut de ceux que j’espère, est positif… De plus, remplir la « corbeille » est assez jouissif, malgré la crainte d’éliminer par mégarde un message important et le soupçon que mes propres messages subissent le même sort et suscitent   semblable délectation.

Les informations professionnelles me perturbent aussi : faut-il s’inscrire à ce Salon  littéraire éloigné ou peu fréquenté ou dénaturé ?  Le négliger c’est renoncer à transformer un lecteur potentiel en  lecteur officiel, voire inconditionnel… éternel.

Faut-il ouvrir ou on  Facebook ? Dans un magma de messages purement perso ou de publicités dissimulées, j’en repêche quelques-uns que je commente le moins platement possible, les relayant parfois. J’ai renoncé aux pétitions que  je  retrouvais, sans l’avoir voulu, sur mon profil que je réserve à mes activités littéraires et artistiques. Je sais que les réseaux sont, par nature, partageux, mais je n’apprécie pas d’être devenu un algorithme destiné à alimenter des fichiers et le e-commerce. En outre, la masse d’informations est écrasante. Partout, des évènements : impossible d’y participer soit trop éloignés, soit déjà passés,  soit l’ouverture de tous ces messages a dévoré le temps disponible.

Après les soins aux animaux, le toilettage de l’ordinateur, un peu de sport serait salutaire. Hélas ! comme dit ci-dessus, le temps a filé. Être mieux dans son corps afin d’être mieux dans sa tête… raté !

Il paraît qu’un corps passant de vie à trépas perd vingt et un grammes. Est-ce une donnée scientifique vérifiée, vérifiable ou une élucubration de penseur ou, pire, d’artiste ? Est-ce le poids de l’âme ? Platon et son copain en débattaient déjà.

Certains croient en la réincarnation. Vivre plusieurs fois, à la rigueur, mais mourir plusieurs fois ne m’emballe pas, ni même réutiliser la même âme… Trop de promiscuité nuit à l’intimité, tant qu’à revivre, autant le faire avec du neuf.

La dualité du corps et de l’esprit m’a toujours semblé contre nature, par contre distinguer l’esprit de l’âme est pertinent, car si ces deux entités sont distinctes et si seule l’âme est immortelle, je m’inquiète : ai-je bien réparti les contenus ?

Je conçois la transcendance de l’âme, j’admets qu’elle puisse être antérieure à ma naissance et qu’elle soit apte à distinguer le bien du mal, mais en quoi m’est-elle consubstantielle ? Mon esprit anime mon corps et mes aspirations  relient mon passé au présent et m’emportent vers l’avenir. Il est la somme de mes pensées, de mes lectures, de mes écrits ; il est ma mémoire, il est moi, avec mes regrets, mes souffrances, mes insuffisances, mais aussi mes espoirs, mes désirs, ma volonté d’être…

Vingt et un grammes ! L’âme est par trop évanescente. Peut-on opter pour la préservation de l’esprit ? Combien pèse-t-il ?