Un texte de saison

Puisque le printemps est de retour, je vais le célébrer en feuilletant, de temps à autre, mon herbier. (Herbier – Livre unique – Pastels à l’huile de R. Chartrain)

 L’IVRAIE

 Il convient de séparer le bon grain de l’ivraie.

Le bon berger délaisse son troupeau pour chercher la brebis égarée.

Le père fête le retour du fils prodigue.

Que celui qui n’a jamais péché lui lance la première pierre.

Dans la grande église froide, ces paraboles réchauffaient mon jeune cœur, élevant mon âme. Encore que, parfois, je m’interrogeais : le fils indigne revient en héros. Sympa le papa, mais l’autre fiston, celui qui est resté auprès de ses parents, assurant le quotidien, voit le veau gras tué, les tonneaux mis en perce pour son frangin renégat et lui, lui qui a fait son devoir est ignoré ! Je me mettais à sa place, sachant confusément que je n’échapperais pas à mon destin de brave gamine faisant globalement ce qu’il faut faire, alors les rigolos qui se tirent, dilapident la fortune et reviennent pour rafler la mise…

L’histoire du bon berger m’arrachait des larmes : c’était beau, grand, rassurant. Hélas, au XXIe siècle, les bergers, enfin certains, non seulement ne cherchent pas la brebis égarée mais les perdent en les déplaçant, les balancent sans ménagement dans les camions. Ne parlons pas de celui qui lors d’une manifestation a…, n’en parlons pas ça me fait encore mal pour le malheureux mouton et pour son tortionnaire. Ne parlons pas non plus des estropiées, des malades : une attelle, une piqûre, histoire que la viande reste sur pied… Pourtant, les brebis appellent, pleurent, se fâchent, enfantent, allaitent, toussent, souffrent… Ne parlons pas non plus des abattoirs…

Quant à Marie-Madeleine, le Christ lui pardonne : nous sommes tous pécheurs et justement je suis venu pour régler ce problème. Personnellement, je n’ai pas trop l’occasion de pécher… Évidemment, si la colère est un péché, je vais devoir égrainer autant de chapelets que d’injures… N’empêche que, la Madeleine, si elle se prostituait, c’est que c’était prévu, qu’elle avait un souteneur, un lieu genre maison de tolérance, des clients… et ceux-là purs comme le sable du désert ?

Ne pas se mettre en colère…

Reste le bon grain et l’ivraie. Le bon grain, c’est le blé qui donne le pain, le sarrasin qui donne les crêpes… L’ivraie c’est… c’est une plante qui donne l’ivresse. C’est pas mal l’ivresse. La preuve, depuis des temps immémoriaux et sous toutes les latitudes, les hommes ont appris à faire fermenter les céréales et autres plantes pour boire, s’étourdir, faire la fête. Dans l’Égypte antique, la bière désaltérait et allégeait la vie des hommes. Les Gaulois glorifiaient l’ambre de l’hydromel, les romains le pourpre du vin. Sans vin, pas d’eucharistie, pas de partage…

Et qui a créé l’ivraie ? Et les autres plantes comme le hachisch, le kif, le kat, la coca, l’absinthe, les champignons hallucinogènes, la noix de muscade, le gingembre aphrodisiaque…?

Les paraboles sont à revisiter. Je propose un nouvel évangile pour réhabiliter : l’ivraie et condamner les jean-foutre, les bergers, les macs et  autres…

Gloire à dieu au plus haut des cieux

et paix sur la terre aux hommes qui galèrent