Le fantôme du Palais Royal

J’ai revu le fantôme du Palais Royal  (nouvelle relatée dans Kaléidoscope p 16). J’avais suivi cette silhouette menue, vêtue de façon anachronique, qui se faufilait sous les arcades, disparaissait pour reparaître un peu plus loin. Telle un feu follet, elle m’avait menée vers une boutique consacrée aux objets religieux catholiques : chasubles, calices, burettes, encensoirs, croix, ex-voto, piétas, chapelets…

Quelques mois plus tard, je retournais dans ce quartier de Paris, le 2e arrondissement, afin de visiter l’église aperçue lors de cette filature. Mais sans mon guide, j’eus quelques peines à localiser l’édifice. Devant l’appartement jadis occupé par Colette, j’hésitais sur la direction à prendre. Dans un premier temps, je me dirigeais vers la Place des Victoires, puis traversais une première rue occupée à cette  jonction par une maison gothique. Un peu plus loin, j’empruntais une ruelle oblique qui me ramenait légèrement en arrière mais débouchait sur la Place des Petits Pères. (Surnom donné   par Henri IV aux religieux qui vivaient en ce lieu.) Cette place a une forme de trapèze dont le plus petit côté est occupé par l’église Notre Dame des Victoires.

En face, se dressent les devantures dont celle qui propose les objets du culte  dans laquelle mon  fantôme, vêtu de noir et de blanc, dentelles et capeline avait pénétré. À travers la vitrine, je l’avais vue s’agenouiller devant un grand tiroir acajou muni de poignées de cuivre. Avec componction, elle en avait extrait lentement des statuettes et des crucifix,  les élevant un à un vers la lumière sous son regard transparent. Tandis que je constatais son teint diaphane avec émotion, ses mains gantées de blanc délaissèrent une vierge à l’enfant pour plonger dans son sac à mains et en ressortir… un téléphone portable !

Cette fois, en ce dimanche de la Pentecôte, les boutiques étaient fermées. Une façade, également ancienne, jouxte le magasin d’objets cultuels. Celle-ci est surmontée d’un clocheton sous lequel niche une statue de Sainte mais son étalage propose des objets profanes : sacs à main de luxe, chaussures de marque, bijoux effrontés…

Devant l’église, un poteau métallique rappelle son historique : c’est le dernier vestige d’un monastère qui était constitué d’un cloitre de belles proportions, de nombreux bâtiments et de terrains.  Le tout reliait le Palais Royal à la place où se trouve désormais la Bourse : un ensemble imposant par sa taille et sa beauté comme l’attestent plans anciens et gravures. La Révolution  chassa les religieux : des Pères Augustins. Les bâtisses furent diversement utilisées avant d’être détruites.

J’entrais. Attirée par des panneaux de photos de donateurs et autres bienheureux, je m’orientais vers la nef latérale gauche. Une musique et une voix très pure s’élevaient du transept. J’avançais sans bruit. Je ne sais où se trouvait l’orgue mais la voix émanait d’une grosse femme noire assise seule sur une travée. Des personnes étaient regroupées dans le chœur. Un homme qui devait se tenir derrière la chaire prit la parole. Je ne prêtais pas attention à ses propos, trop captivée par la répartition des gens dans l’espace, comme s’il s’agissait d’une mise en scène : le groupe, la femme noire isolée, une autre femme noire lui faisant pendant dans la nef de droite, le récitant invisible et des individus disposés ici et là dans des attitudes pleines de recueillement. J’attendais la suite mais tout retourna au silence.

Je serais volontiers restée, mais la pensée que mon téléphone portable risquait de sonner me poussa en hâte vers la sortie. C’est alors que je revis… mon fantôme !

Assise derrière une table à l’entrée de la nef principale, elle était vêtue d’une robe blanche en guipure sur un fond moiré, d’un boléro brodé en velours noir, d’une ceinture noire nouée par de larges rubans flottants. Ses jambes maigres gainées de bas blancs opaques étaient allongées à l’ombre de la table, à côté d’une ombrelle noire.

Un tour de cou noir tranchait sur sa peau pâle. Épinglé sur le boléro, un badge blanc précisait, dans une belle calligraphie noire : «Marie de l’Incarnation ».