Le Paradis
Dans l’un de mes romans[1], je rapporte que lorsque j’étais enfant je m’interrogeais sur une possibilité de survie dans l’au-delà. J’envisageais que « l’après » serait conforme à ce que les gens croyaient de leur vivant : le néant pour l’agnostique, le jugement pour le croyant avec répartition en fonction des bonnes et mauvaises actions. (J’ignorais, alors, les autres religions ou croyances.)
En fonction de cette hypothèse, j’accomplissais, chaque jour, une bonne action, visant ainsi l’option paradis. Un paradis sans doute bleuté dans lequel j’installais la bicyclette rouge repérée dans la vitrine du coin.
Plusieurs décennies plus tard, ce postulat ne me semble pas forcément absurde et mon âme pourrait y trouver refuge, bien que cette thèse découle plutôt de mon esprit, mais comment démêler les deux ? Séparer l’esprit du corps n’est déjà pas évident. Mais laissons ces détails afin d’aménager au mieux cet éden.
La bicyclette rouge n’occupe plus mes rêves. J’en ai une noire que je néglige. Qu’est-ce que je souhaiterais trouver, ou retrouver, en ce lieu ? Je suppose que des reflets de mon existence graviteraient dans une sorte de bulle et puis des êtres…
Les animaux que j’ai aimés. Si le Paradis existe, les animaux y ont forcément leur place, peut-être même peuvent-ils utiliser la parole… Bien entendu, je souhaite y retrouver mes proches, mais avec les humains, c’est tout de suite plus délicat.
Mon père, assurément, car j’ai beaucoup à me faire pardonner et l’éternité ne sera pas de trop. Que décider par rapport à mes grands-parents ? Je ne les ai pas connus ou si peu… Aurions-nous quelque chose à nous dire ? J’élimine nombre de tantes, oncles et cousins qui m’ennuyaient de leur vivant.
Il va de soi que sont exclus de ce paradis, ceux qui n’y croyaient pas ou méritaient l’enfer, sauf si mon bonheur en dépend. Dans ce cas, des clones seraient mis à ma disposition.
Le problème des amours est encore plus complexe que les relations familiales. Qui retenir ? Pas ceux que j’ai quittés, pas ceux qui m’ont fait souffrir d’une manière ou d’une autre. Supposons que je puisse en préserver… deux, je rentre dans une relation de bigamie peu compatible avec la religion catholique. Mais comment choisir en toute justice, comment peser sur la balance : les mots, les baisers, les regards…
Seront présents d’office les amis que j’ai trop souvent négligés et dont la mort a ravivé mes regrets. Les amis doivent pouvoir cohabiter en harmonie… Faut-il inviter ceux qui m’ont délaissée ouvrant en moi des chagrins d’amitié ? Non, j’ai la rancune tenace. Oui mais au Paradis, les ressentiments sont impossibles. Dans ce cas, il n’est pas exclu que j’opte pour le purgatoire…
J’avais écrit une nouvelle[2], où dans l’au-delà, je rencontrais Baudelaire. J’aimais ses poèmes, il aimait les miens, nous n’avions que mépris pour ceux qui nous avaient condamnés voire même pour quelques hypocrites lecteurs. Nous papotions en contemplant les «merveilleux nuages » et des fleurs noires surgissaient sous nos pas. Évidemment, Baudelaire est sans doute en enfer de plein droit ou par choix, mais comme dit précédemment il pourrait s’agir d’un double ou bien des visites seraient autorisées entre le monde du haut et le monde du bas.
Un seul poète pour la lectrice assidue que je suis, c’est peu. Je vais constituer une liste et y ajouter des musiciens et des peintres. En fait, l’idéal serait que les œuvres qui m’ont touchée, intriguée, interpelée m’environnent et qu’en passant devant tel ou tel tableau ou en entendant une symphonie, un concerto, leurs créateurs apparaissent et devisent en ma compagnie.
Bon, ça commence à prendre forme. Cependant mon exigence, mes sélections font de ce lieu un espace assez austère, pas très différent de mon monde d’ici bas, si bien qu’un doute s’insinue quant à l’opportunité de ce futur…
[1] La déshistoire – p 93 (paru en juin 2016)
[2] Aléas p 33 (Cooptation)