Effeuiller la marguerite
Je ne sais qui eut le premier l’idée d’arracher les pétales d’une fleur en murmurant : « Je t’aime, un peu, beaucoup, à la folie, passionnément, pas du tout. »
Outre le fait que la main assassine une modeste marguerite ou une malheureuse pâquerette incapables de se défendre contre cet assaut sauvage lié aux affres de la passion, l’énumération est bien bizarre…
N’est-il pas étrange que le protagoniste s’interroge sur l’intensité de son amour ? Un « Tu m’aimes ? » serait plus compréhensible. Négligeons cette première incohérence pour examiner les propositions : « un peu, beaucoup, à la folie, passionnément… » Elles développent une progression, encore que j’inverserais volontiers « à la folie » et « passionnément ». Quoique… ces deux termes cernant une même idée, j’en supprimerais un. Mais là encore, mettons en attente cette complication pour examiner la chute : le « pas du tout ». Puisque l’énumération va crescendo, ce « pas du tout » devrait l’amorcer : « je t’aime, pas du tout, un peu… », alors que positionné à la fin, il contredit l’affirmation du départ comme le désormais fameux « Je t’aime moi non plus » titre et refrain d’une chanson à succès qui, du reste, me perplexa.
Revenons à l’énumération qui s’apparente à une sorte de comptine. Cette « chanson » se décline jusqu’au dernier pétale qui lâche la réponse fatidique, laissant tout nu le petit cœur jaune et tremblotant. Une marguerite possède de vingt à trente pétales, la pâquerette plus de trente, le récitatif est donc plus long et le risque d’erreur accru, d’autant que les petits pétales se chevauchent.
Même si le nombre de pétales n’est pas toujours identique, les variations sont limitées, aussi l’amoureux (se) transi (e) ou potentiel (le) est soit naïf (ve), soit machiavélique : la réponse pouvant presque s’anticiper.
Être confronté à cette enchère est une situation délicate et controversée. Convient-il d’arracher le premier pétale dès le départ avec « Je t’aime » ? Cette première interrogation est, au demeurant, terrifiante. Il est vrai que l’affirmation d’un amour l’est plus encore. Face à une telle déclaration, le plus simple est de marmonner « moi aussi ». Si la réplique est sincère, l’angoisse est provisoirement repoussée. Dans le cas contraire, le mieux est de prendre la fuite mais il arrive que la curiosité ou la faiblesse l’emporte…
Pour en revenir à notre effeuillage, « Un peu » c’est mesquin, « beaucoup » trop marchand, « à la folie » inquiétant, « passionnément » suspect. Si l’individu est de nature passionnée, il a vraisemblablement d’autres passions : pourra-t-il les mener simultanément ?
Quant au verdict « pas du tout » ânonné par cet énergumène qui s’emberlificote depuis plusieurs minutes dans son test débile, détruisant bêtement cette malheureuse fleur pour laquelle je ressens infiniment plus d’affinités qu’à l’égard dudit récitant, ce « pas du tout » je le fais mien car comment aimer un individu aussi pusillanime ?
Image : monotype de Roseline Chartrain
3 Comments
ipfan.info avril 06, 2019 - 09:05
Cette expression provient d’un jeu qui consiste à enlever un à un les pétales d’une marguerite. A chaque pétale correspondent les sentiments d’un homme : « Il m’aime un peu – beaucoup – à la folie – passionnément – pas du tout ». Au dernier pétale arraché correspond la réponse à la question « m’aime-t-il ? ». On peut aussi prendre cette expression dans le sens de « déshabiller une femme ».
L'auteur janvier 16, 2017 - 07:47
Saute la haie, n’hésites pas, mais photographie les pâquerettes avant qu’elle ne les dévore et prends garde à Toi… « Aimer, c’est du meurtre à petit feu » disait Léo.
KOLB dit KHOM janvier 15, 2017 - 23:21
Ma chère Colette… La coquette de Gourdon… L’Alouette de Léo, que penses-tu de ma voisine qui ensoleille toujours sa salade de quelques pâquerettes… Et sans les effeuiller… Je te mange un peu, beaucoup, passionnément, à la folie? Je crois entendre parfois, passer entre les murs les hurlements des pâquerettes dévorées entre les belles canines de ma voisine, charmante et très séduisante. J’ai besoin de ton conseil : dois-je continuer à lui faire la cour ? N’est-ce pas dangereux et très pervers de chercher à la séduire? Qu’est-ce que je risque ? Je t’embrasse tendrement en attendant le Festival de Gourdon en juillet 2017. Je te souhaite une bonne année, avec deux « n », avec un seul c’est une charge d’ane et certains en sont chagrinés. Je te pète la miaille comme on dit en pays lyonnais. A bientôt et merci pour ta littérature qui me réjouit toujours. Michel