Un mouton

Sur cette photo, le nouveau compagnon de ma jument : Billy le Kid. Joueur, aimant les caresses, les pommes, les carottes…  Attentif, surprenant, craquant !

J’avais écrit une nouvelle pour « défendre » les moutons, Billy confirme grandement mes propos d’alors…

Qui ne connaît les moutons de Panurge ? Sans même avoir lu Rabelais, tout le monde s’en moque : symboles de sottise et d’esprit grégaire.

Souvent, je les observe et ne suis ni certaine de leur bêtise ni de leur esprit moutonnier. Certes, j’en ai vu qui bêlaient  du fait d’être séparés de leurs congénères par un simple grillage, incapables de repasser dessous ou de le contourner, mais les autres semblaient attentifs à cette détresse.

Lorsque l’un d’entre eux prend peur et part en courant, tous le suivent : en cas de danger, c’est leur seule chance de survie. Une foule d’hommes effrayée par une déflagration ne court-elle pas d’un même mouvement le plus loin possible ?

L’autre jour, croyant que le berger arrivait, ils se pressaient contre le portail. Un chien passa, l’un des moutons,  le regardant, frappa du pied, tandis que les autres broutaient tranquillement.

J’ai croisé sur la route un troupeau en fugue. Dès qu’ils m’ont vue, l’air coupable, ils ont fait demi-tour. Je les ai dirigés vers un pré dont le clédou était ouvert. Ce n’était pas le leur, ils se sont bien gardés de me le signaler : l’herbe avait l’attrait de l’inconnu et de l’interdit.

Il est vrai que leurs bêlements sont parfois tellement caricaturaux qu’on imagine de grossiers imitateurs. Pourtant, ils émettent toutes sortes de cris, certains semblables à des pleurs d’enfant, d’autres très étranges, très impressionnants. D’un troupeau s’élève une symphonie de sons moyennement harmonieux mais extrêmement variés.

Précisons que les moutons que j’observe sont les Caussenards du Quercy. Selon une légende, ils descendent du mouton d’Espédaillac, un mouton habité par l’angoisse métaphysique, un mouton en quête de sens… Sa réflexion le mena à la mort et valut à ses descendants des cercles noirs autour des yeux : cernes d’angoisse ou lunettes d’intellectuel, en tout cas, preuve de réflexion – légende quelque peu anthropomorphiste…

Cet été, les bêlements divers et sonores du troupeau dans le pré qui jouxte ma demeure étaient si puissants, si surprenants que j’allai vers eux. Ils étaient disposés en plusieurs groupes les uns debout, les autres couchés, certains solitaires. Je ne parvenais pas à comprendre le pourquoi de cette agitation. L’un d’eux me regarda droit dans les yeux, j’avançai, les autres s’éloignèrent, lui ne bougea pas. Surprise, j’allongeai le bras et lui touchai le museau, il demeura immobile. Son regard était… intense. J’en fus gênée. Dans son oreille, une étiquette agrafée, en plastique, portait un numéro. Je m’éloignai en m’efforçant de le mémoriser envisageant de demander au propriétaire de l’acheter : une lubie de citadine ! De fait, comment s’en occuper ? S’ennuierait-il ? Et si c’était un descendant direct de celui d’Espédaillac ?

Malheureusement, le numéro m’échappa. Je revins en courant : un mouvement s’opéra. Plusieurs m’observaient – de loin. Lequel était-ce ? Je restai plantée un moment, avec le sentiment d’avoir raté une relation essentielle.

Extrait d’Aléas

NB – Billy est un croisement : père Caussenard – mère d’Ouessant.