Le moral et les chaussettes

Comme beaucoup, j’ai « le moral dans les chaussettes ». J’enlève celle du pied droit, la secoue au-dessus de mon bureau : un brin de paille, une bouloche de laine. J’ôte celle du pied gauche : un morceau de plastique, un petit caillou. Nulle trace de  moral. J’observe le petit caillou, peut-il me renseigner, me guider ? Chaud, lisse, doux, il contient des paillettes argentées : des miettes de moral ?

Mes yeux me brûlent, des larmes gonflent mes paupières. Qu’en faire ? Elles apaiseraient leur irritation,  quant au moral…

Dans l’urgence, je me précipite sur le clavier de l’ordinateur. Je tape vite sans regarder mes doigts, j’incline ma tête en arrière, en virtuose. J’aimerais que chaque touche émette un son : le nom de la lettre, une note ou des vocalises.

Rimbaud dans le sonnet « Voyelles » attribuait des couleurs aux lettres, Léo Ferré dans « Technique de l’exil » leur distribue odeurs, matières, sons : « L’alphabet passé par tous les sens. »

J’ai froid aux pieds et à l’âme. Je remets mes chaussettes, j’habille mon âme de mots et de musique. Le petit caillou rejoint dans une coupelle des cailloux gros comme des pierres. Sur l’une, je distingue une trace de coquillage : elle vient du bout du temps. La rouge foncée provient du sommet de l’Etna, ramassée toute chaude. Je les frotte l’une contre l’autre : nulle étincelle ; je les respire, une légère odeur se dégage du morceau de lave. Sur la cassure d’une autre, d’un blanc transparent, de petits cristaux clignent de l’œil. Parmi les pierres, une noix de la taille d’une noisette : sa petitesse lui confère une joliesse particulière.

Sous la lampe, ces objets offrent un assemblage de formes dans une palette aux couleurs resserrées très wabi-sabi. Je souris. Mon angoisse reflue.

J’ai gagné une heure.