Philosophe en herbe

J’ai haussé une épaule voire les deux en entendant qu’on expérimentait l’introduction de la philosophie dès l’école primaire.

Pourtant enfant,  j’éprouvais des vertiges métaphysiques et mâchonnais avec inquiétude des réflexions qui me conduisaient à conclure à mon étrangeté, voire à de graves anomalies. Savoir que de doctes personnes développaient des pensées similaires m’aurait rassérénée. Peut-être n’aurais-je pas cherché des réponses dans l’écriture  en tourmentant d’innocents personnages contraints d’endosser mes bizarreries et pire…

Penchée sur mon premier livre de lecture, je lisais en ânonnant un texte décrivant le repassage du linge : à mes côtés ma mère repassait. Les mots décrivaient intensément l’odeur du chaud et les chuintements du fer sur le tissu : plus intenses, plus réels que la réalité !

En quittant une pièce, je m’interrogeais sur ce qui subsistait après mon départ. Manifestement, à cette période je ne doutais pas de mon existence, mais plutôt de l’environnement.

Adolescente, faute de me sentir vivre, je soupçonnais ma non-existence ou tout du moins un défaut d’existence : je guettais mon reflet dans les vitrines pour m’assurer de ma matérialité. Rousseau se pencha sur ce problème en comparant le sauvage et l’homme social. Freud développa le concept de dé-réalité du sujet. Je tolérais une amie envahissante afin de m’affairer à une tâche quelconque qui grâce à son regard prenait de l’épaisseur. À l’inverse, devenue adulte, seule la solitude me permettait de ressentir des émotions : ce qui compromit mes rapports aux autres et  provoqua de regrettables blocages.

Comment penser ? Comment se sentir vivre ? Comment éprouver du plaisir ? J’achoppais sur ces points essentiels. Là encore, philosophes et écrivains témoignaient de difficultés semblables : un échange aurait été fructueux.

Abusivement, tous ces détails ont encombré ma vie.