Le comédien

Comédien je suis : je fais rire ou pleurer, bailler ou réfléchir. Tous les soirs, ou presque, je prête mon corps aux auteurs : je deviens leurs personnages. À force d’être habité par des personnalités multiples, par leurs drames et leurs joies : je ne sais plus qui je suis.

Dans la vie,  pour m’exprimer je n’ai que des mots, non des alexandrins ; dans l’intimité, mes larmes se tarissent et mes rires se cassent.

Sur scène, je me donne en spectacle, en pâture. Ces exhibitions me semblent de plus en plus indécentes, malsaines et puériles. Les spectateurs se prêtent à ce jeu de dupes : voyeurs complaisants et vicieux. Le pire éclate dans leurs applaudissements systématiques. Même quand ils  démarrent chichement, vient toujours le moment où ils s’amplifient pour leur propre plaisir, pour devenir à leur tour « acteurs », pour s’applaudir eux-mêmes !

J’éprouve de plus en plus de difficultés à sortir la première réplique, ce n’est pas le trac mais le doute. Hier, j’ai déclamé mon texte depuis les coulisses. Mon partenaire hésita à me donner la réplique. Même des coulisses ma voix me gênait, elle portait trop, se gonflait, roulait, montait dans les cintres, m’échappait.

C’est elle que le Directeur du théâtre attrapa en premier pour nous jeter dehors.

Aléas p. 123
Photo Musée Rignault-André Breton
St Cirq Lapopie 46