La main
Dans l’impasse du gué, une porte en bois sombre munie d’un heurtoir métallique en forme de main de femme fine et alanguie attirait les visiteurs. Jadis, cette maison, comme l’indiquait le numéro de grande taille au-dessus de la porte, servait de lieu de rendez-vous. Ces endroits disparurent du fait de la loi et peut-être de l’évolution des mentalités. Cependant une attirance suspecte perdurait.
La nuit, des silhouettes approchaient, ralentissaient, dépassaient la demeure avant de revenir sur leurs pas. Elles s’avançaient lentement et caressaient la main. Leurs cœurs s’affolaient, leurs jambes tremblaient, ils s’éloignaient. D’autres soulevaient lentement la main, puis la laissaient retomber partant à grands pas ou reculant jusqu’au milieu de la chaussée. Parfois, la porte s’entrebâillait et, plus rarement, le visiteur la franchissait. Une rumeur suggérait que ceux qui y pénétraient ne ressortaient jamais. Pour s’en assurer, il fallait s’y risquer.
C’est ce que fit un godelureau qui avertit un détective privé au cas où… Le délai dépassé, le détective devait s’y rendre. Inquiet, celui-ci informa à son tour un confrère. Sans nouvelles, le collègue doutant de l’opportunité du procédé, s’approcha de la porte une nuit sans lune, muni d’une scie à métaux et commença à découper le poignet. La main brillait, irradiait d’une lumière bleutée. Il s’en saisit et l’enveloppa dans un tissu. Un filet de sang glissa de la porte à la première marche.
Le lendemain, il devait rencontrer un journaliste pour lui relater son exploit. Au bout d’ une heure d’attente dans le bistro, le pigiste se rendit au domicile du détective. La porte palière bâillait, il entra. Au sol, le détective gisait bouche ouverte : la main en métal enserrait sa gorge.
J’envoie au site des Cabicurieux la photo et le récit tout en précisant que son auteur (prétendument décédé, donc ne visant aucune notoriété) avait rassemblé des textes insolites dans un recueil : Kaléidoscope.
Ce récit parviendra-t-il à forcer l’ entre soi pratiqué par les vigiles du site ? Bien que satisfaite, je ressens une inquiétante pression sur mon larynx.
1 Comments
Emma novembre 02, 2022 - 11:11
Merci pour cette nouvelle qui me fait tressaillir… alors toquer et entrer ou fuir ? et ne jamais savoir !