La colère des couleurs

– Le ciel n’est-il pas bleu ? Et la mer ?

– Non, le ciel et l’eau ne sont que des reflets sur des masses…

– Et l’indigo, et l’outremer ?

– Je vous rappelle que les trois couleurs primaires sont : le rouge, le bleu et le jaune.

– Oui, primaires, moi je dispose des multiples nuances des arbres, plantes, fruits ainsi que du vert paradis des amours enfantines.

– Si vous recourez aux poètes, où va-t-on ? Regardez le jeune Arthur :

A noir, E blanc, I rouge, U vert, o bleu : voyelles…

– A noir, pour ma part me convient, on m’oublie trop souvent et là, je commence !

– Et moi :

E blanc, E Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles

 De fait, j’habille la neige, la pureté, je…

– La noire blancheur du lait selon un poète plus récent !

– Je me retire, j’ai l’habitude : page blanche qui s’esquive sous les mots et les notes.

– Et nous ? Qui se soucie des tons discrets : le mauve, le beige, le grège, le gris… Élégance et nuance…

– Vous vous la jouez ! Nous, les couleurs rejetées, sommes d’une autre trempe : brun,  kaki,  bistre…

– Allons, allons, n’imitons pas les humains… Sans la lumière nous n’existons pas, seul le prisme nous prête apparence, sans lui nous sombrons dans l’invisibilité du néant.

– Le néant a un petit goût de moisi qui me rappelle le patchouli. J’aime son odeur qui évoque les étoffes fleuries de mille couleurs parfumées de souvenirs infinis.

 

Extrait du livre d’artiste Les saveurs des couleurs
Texte C. Brogniart – Réalisation R. Chartrain