Le bruit
Le bruit a commencé dans la chambre bleue sous les combles. Une sorte de claquement métallique désagréable, assez fort.
Une possible interférence entre le téléphone portable et le poste de radio ? Elle a débranché le câble : le clac clac intempestif persista. Un meuble bancal, un objet en déséquilibre ébranlés par les vibrations des pas sur le parquet ? Elle s’est immobilisée, retenant sa respiration : le clac clac goguenard percuta son cerveau. Elle s’est approchée de la commode, puis du cagibi…
Le bruit surgit à intervalles réguliers : toutes les vingt secondes. Elle le ressent comme une menace : elle a tiré la porte derrière elle pour l’enfermer.
Au rez-de-chaussée, sous la chambre, elle perçoit le son, atténué. Ce n’est donc pas sa présence qui le déclenche.
À chaque fois, qu’elle remonte, elle fouille la pièce du regard pour trouver un indice ; vêtements, chaussures, livres, dossiers, cartons ont envahi l’espace, brouillant les pistes.
Étendue dans la chambre rose, (les désignations « bleue » et « rose » découlent des couleurs des rideaux et des couvre lit – heureusement que le jaune n’a pas été retenu), chambre située à l’opposé de l’autre, elle a cru entendre un bruit plus sourd, moins agressif mais tout aussi prégnant.
Lorsqu’un robinet goutte, l’attention se focalise sur le clapotement et s’agace, mais il est aisé de le serrer davantage ou de diriger les gouttes sur une surface qui étouffe les sons : éponge, chiffon…
S’agit-il d’un insecte logé dans le bois ? La vrillette surnommée « l’horloge de la mort » peut dévorer toute une charpente. Dès l’achat de cette maison ancienne, elle a traité les bois. Les produits chimiques utilisés l’avaient fort incommodée et elle voulait croire qu’ils avaient détruit toute la vermine. Il est vrai que des villes entières subissent des attaques de termites.
Il y a peu, une bestiole, sans doute une fouine, avait élu domicile dans le grenier et menait à heures fixes de sacrées sarabandes : griffes sur les solives, cavalcades désordonnées. Sans doute nourrissait-elle sa nichée avec des proies vivantes. C’était un voisinage dérangeant mais relativement policé, car lié à un strict emploi du temps. Du jour au lendemain, le bruit cessa.
Jadis, des dames blanches ou chouettes effraies vivaient dans le pigeonnier dont la toiture était éventrée. Elles menaient grand train. Leurs respirations profondes étaient tout à fait étranges et, de temps à autre, elles émettaient un bruit semblable à celui d’une tempête qui aurait éclaté sur une toute petite surface : impressionnant !
Elle n’a ménagé ni ses finances ni ses forces pour rendre cette demeure belle, accueillante, confortable. Le mieux, à titre provisoire, est de s’installer, exclusivement, au rez-de-chaussée. En dépliant le canapé, elle aura tout à disposition. C’est alors qu’apparut un nouveau bruit, pas métallique, pas sourd, une sorte de… hoquet.
Elle mit la maison en vente.
3 Comments
Emma avril 03, 2018 - 11:58
Qui n’a pas entendu craquer le parquet ou les escaliers de bois menant au premier étage, au cours d’un après-midi, d’une soirée, la nuit… tiens, un visiteur… ? et senti cette odeur particulière qui nous relie à ceux qui nous ont quittés… Lueur dans l’obscurité de la chambre, l’œil et le cœur en alerte… puis la solitude et la plénitude de ne pas avoir peur…
arbouge mars 31, 2018 - 06:38
« Le bruit » est un texte parfait « fait maison », mais de grâce il ne faut pas vendre la maison. Les hoquets cessent, les rumeurs meurent mais les maisons demeurent… Andy D.
jimenez mars 17, 2018 - 10:05
Dans la maison ancienne, inhabitée depuis longtemps peut être…..des odeurs, des couleurs, des bruits inconnus….la crainte raisonnée au début devient peur, angoisse, panique…….un très beau texte suggestif.
Les bruits ne sont ils pas le fruit de l’imaginaire dans le silence de la solitude??