Phobie légitime

Il a entassé une pile de lettres qu’il dénomme administratives : il redoute toujours de les ouvrir, elles ne recèlent rien de bon. Néanmoins, après une profonde inspiration, il éventre une première enveloppe.

« Quelle est votre résidence fiscale ? » Il parcourt le texte en diagonale : « amende de 1 500 € — depuis le 1er janvier 2018, en lien avec les banques et les assurances — pour lutter contre l’évasion fiscale… »

Il n’a jamais quitté la France, pas plus que ses parents ni ses arrière-grands-parents et au-delà. Sa retraite est modeste.

Est-ce de l’hameçonnage comme ils disent ? Drôle de terme ! Il désavoue la pêche : tous ces malheureux poissons qui agonisent bouches béantes, alors qu’ils nageaient librement dans l’immensité.

Autre courrier : « Avis de classement à victime » quel charabia ! Il en ressort que l’instruction n’a pas permis d’identifier la (les) personne (s) ayant commis l’infraction contre sa demeure. D’après l’un des protagonistes : il n’y a pas eu d’enquête ! Il peut faire appel, obtenir un avocat et une aide financière. Le préjudice remonte à un an. Il a porté plainte pour protester, sans rien en attendre. Mais que fait la police ?

Presque tous les jours arrivent des courriers de cet acabit. Quand ce n’est pas le web qui exige des démarches impossibles en principe pour simplifier la vie… Ainsi la fameuse adresse d’identification électronique unique, enfin quelque chose comme ça, parfaitement insaisissable ! Tantôt l’identifiant ne convient pas, tantôt le mot de passe. Si, par hasard, tout semble correct : la demande n’aboutit pas. Il recommence, s’épuise : déstabilisé, attristé ; il éprouve un amoindrissement interne et se ratatine en externe. Idem avec l’espace santé et autres merveilleuses innovations. Y a-t-il encore un humain dans l’univers ? Il en doute.

Il pourrait jeter toutes ces lettres sans les examiner ou les ouvrir, les froisser et en faire un feu de joie. Ou mieux : embaucher un tueur d’élite pour éliminer le ministre de la Paperasserie afin de sauver les arbres, de libérer les usagers et d’alléger les services publics et, par la même occasion, recruter un pirate informatique pour virusser les circonvolutions itératives du numérique et détruire les pernicieux algorithmes. Au lieu de quoi, il envisage d’entrer en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) dans l’espoir de ne plus être confronté à tant de tracasseries et d’absurdités.

Sauf que, obtenir une place en un tel lieu est extrêmement complexe :remplir un dossier, fournir nombre de documents attestant de votre légitime éligibilité : une épreuve titanesque !

Par contre, il a découvert sur le net, comment confectionner une bombe artisanale : c’est très bien expliqué. Reste à choisir la cible la plus pertinente pour rendre le quotidien vivable.