Le souterrain

L’entrée voûtée du tunnel paraissait plus sombre que la nuit qui pourtant écrasait les reliefs et gommait les détails. L’ombre d’un homme y ajouta une pointe d’outre noir. Le trou l’aspira.

Cette ligne de train désaffectée éventre une colline de schiste aux éclats fugitifs. En quête d’un raccourci, j’avais résolu d’emprunter le souterrain, mais cette présence m’inquiétait. Le lieu servait-il de refuge ? Favorisait-il des rencontres ? L’idée de redescendre les éboulis de la butte m’effrayait tout autant.

L’humidité, l’odeur de suie et de fer me glaçaient le visage. Une vague lueur marquait l’issue. Collée au mur de droite, à l’opposé de l’homme, je progressais prudemment.

Sous mes pas, les cailloux du ballast roulaient, répercutant leur bruit sur la voûte. J’éprouvais la sensation que mes yeux s’agrandissaient pour forcer l’obscurité environnante et l’angoisse. Mes doigts effleuraient la paroi grasse. De brèves lueurs parcouraient les rails. Je captais des mouvements. Des rats ?

S’engouffrer ici en présence d’un individu suspect relevait de l’inconscience. Nerveusement, je palpai mon téléphone. Qui appeler pour signaler ma présence en ce lieu insolite ? Seule ma main gauche maladroite pouvait le manipuler. J’apprécie la solitude, mais déplore de ne pas savoir vers qui me tourner en cas de difficulté.

Pour modérer la panique qui bloquait mon diaphragme, j’allumai l’écran et simulai, dans le but de l’impressionner, une conversation en forçant ma voix dans les graves.

– Affirmatif Chef, je parcours la cible.

– Non Chef, tout semble en ordre, je me dirige vers la sortie. Vous me récupérez au bout ?

– Bien, à tout de suite.

J’accélérais le pas afin de quitter au plus vite les ténèbres lorsqu’un vrombissement sourd ébranla l’espace. Par réflexe, je m’accroupis. La structure mal entretenue cédait-elle sous le poids des terrains et des arbres qui la recouvraient ? Un grondement jaillit, le sol vibra. Je voulus courir mais ne réussis qu’à trottiner.

Fragmenté par l’écho, le son déferlait. Une masse noire surgit dans mon dos dans un halo de fumée. Je me plaquai au mur, l’homme sauta dans la locomotive tonitruante qui lança un sifflement strident.

La poussière âcre essorait mes yeux, courbée je toussai jusqu’à la sortie. L’air nocturne me parut délicieusement doux et parfumé.

De ce côté, l’entrée du tunnel était condamnée par deux énormes madriers croisés.