André Breton « J’ai dormi dans une cerise »

Hasards plus ou moins objectifs

« Cette nuit, j’ai dormi dans une cerise. » disait André Breton à propos  d’une chambre de la maison Normande  de Léo Ferré. (photo ci-dessus) C’est en ce lieu, que Breton renonça à écrire la préface de « Poète… Vos papiers ! »  Alors, Ferré s’introduisit  lui-même   : « La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique… » Une préface magnifique.

J’ai visité cette maison lorsqu’elle était « abandonnée » et quelque peu vandalisée.

L’accès au premier étage, où se trouvait la fameuse chambre, était possible par l’extérieur à l’aide d’une échelle en bois courte et large. La montée fut aisée mais la descente… Je portais une jupe longue et large d’un ton vieux rose, un justaucorps bleu marine en tissu éponge et des bottes de cuir qui se révélèrent peu adaptées aux barreaux : je m’affalais dans un bosquet d’orties bien dru.

Je gardai dignement le silence sur la cuisson incandescente de mes jambes nues. La température de mon corps s’éleva, j’étais parcourue de frissons. Le retour sur Paris fut un supplice. On raconte qu’à une époque libertine, des fouetteurs professionnels étaient appelés au chevet des amants défaillants pour se faire fesser à l’aide d’orties afin de galvaniser leurs ardeurs. Pour ma part, le seul point positif est le fait de me souvenir de ma tenue de ce jour-là.

Quelques années plus tard, j’eus l’occasion de monter dans la tour de garde de la maison que possédait André Breton à Saint-Cirq Lapopie dans le Lot. Là encore, il fallait emprunter une échelle en métal dressée à l’intérieur d’une pièce vide. Après quelques hésitations dues à sa verticalité, ma tenue étant adaptée j’entrepris l’ascension. Cette vieille tour me plut comme elle avait su séduire le poète qui avait décidé de la laisser ouverte aux oiseaux.

Dans l’un de ses textes, Breton évoque « le chant du garde de la tour » est-ce en pensant à ce lieu ? À moins qu’il ne fasse référence à son « blason ». Fasciné par les châteaux, il avait choisi pour emblème une tour crènelée de 17 mâchicoulis. L’arcane XVII du tarot de Marseille est lié à la tour, l’arcane XVI à la tour foudroyée. André Breton maniait les symboles de toutes natures dont, bien sûr, la croix de Saint André.

Quelques jours après la visite de cette maison quercynoise, je me trouvais à Paris. Une exposition au Centre Pompidou m’attirait, je pris un billet avant de m’apercevoir qu’elle ne commencerait que quelques jours plus tard. Je parcourus les trois expositions proposées : des installations et des vidéos qui ne m’intéressèrent pas. Déçue, je pénétrai dans le musée d’art moderne dont les accrochages sont régulièrement renouvelés. Je reconnus avec plaisir certaines œuvres et en découvris d’autres dont la reconstitution du bureau d’André Breton lorsqu’il vivait rue Fontaine à Paris. Un assemblage d’œuvres d’art, d’objets symboliques ou simplement étranges : un ensemble hétéroclite fascinant. La vie assemble aussi des instants disparates peut-être reliés par des fils invisibles qui parfois se nouent.

Lors d’un Salon du livre où je présentais mes ouvrages, une Anglaise m’avait demandé de lui relater ce que je savais de la rupture entre Léo Ferré et André Breton. Je lui rapportai ce qu’en disait Léo. Cette femme préparait un article sur André Breton. Elle me dit avec assurance que si Breton avait refusé de préfacer « Poète… vos papiers !» comme il s’y était engagé, c’était pour une question de numérologie. J’ignore les éléments qui étayaient son affirmation. Cette publication existe-t-elle ?

Le recueil en 5 parties regroupe 77 poèmes. Quels arcanes pourraient être impliqués ? Breton avait dit : « Léo, en cas de mort, ne faites pas paraître ce livre. » Léo Ferré précisait : « Je n’ai jamais compris cette phrase. Finalement, je me suis introduit tout seul. » Cette préface est puissante et règle quelques comptes pour la plus grande satisfaction du public mais la blessure de Léo est palpable.

En feuilletant un ouvrage sur le tarot, j’ai pris quelques notes sur les arcanes qui pourraient être concernés :

arcane 5 : le pape – le lien entre Dieu et les Hommes, la sagesse, l’écoute, le conseil

arcane 7 : le charriot – réussite, succès

arcane 77 : la désorientation – trouble passager

interprétation négative : indécision, confusion, obstacle

interprétation positive : fortune possible

Autre approche : Léo Ferré est mort dans sa 77e année.

J’ai lu dans des textes consacrés à André Breton que celui-ci s’était dérobé plusieurs fois, entre autres par rapport à Freud et à Trotski. Il semblerait que la crainte de ne pas être à la hauteur l’inhibait. Ces faits auraient-ils consolé Léo Ferré ?

Un autre évènement rapporté par des témoins relate qu’en visitant une église à Guadalajara, André Breton déroba plusieurs ex-voto naïfs. Un collectionneur peut se laisser aller à des actes indélicats mais là encore ce geste en rappelle un autre. Lorsqu’il visita la grotte de Pech-Merle dans le Lot, il toucha la paroi et effaça la trompe d’un mammouth. Le guide outré appela les gendarmes. André Breton affirma qu’il avait fait ce geste car il doutait de l’authenticité de la peinture. Un procès eut lieu, Breton fut condamné à payer une amende.

Dans les manifestes surréalistes, l’appel à la désobéissance et au blasphème sont de mise et le « Pape du surréaliste » prompt à bannir les artistes avait les pleins pouvoirs mais j’ai tendance à soutenir les exclus et les peintures pariétales…