La chasse aux « voilà »

Les tics verbaux  sont aussi détestables que les tiques de peau. « Voilà » s’est invité dans tous les discours, même ceux des professionnels de la communication… Il n’hésite pas à s’accrocher tous les trois mots… Or, ce voilà dit absolument l’inverse de ce qu’il signifie « vois là » : il ne montre rien, il ne dit rien, c’est un non sens absolu : circuler il n’y a rien à voir ni à entendre !

Il s’est substitué autoritairement, dictatorialement aux : « en fait », « alors » « alors heu », « heu » : tous ces mots béquilles qui signalent l’hésitation, la confusion, le dérapage de la pensée…

Le pire est qu’à force d’entendre des laïus gorgés de ce vocable irritant, on attrape ce méchant virus qui se révèle difficile à éradiquer. Du reste, c’est une véritable épidémie, peut-être même une pandémie où surnagent çà et là quelques symptômes claniques :  « c’est un vrai goût », « c’est clair« , « c’est juste bien »…

Dans cette confrérie honnie, s’étalent les « clichés », aussi pernicieux que les poux (pour rester dans la métaphore peu ragoûtante du début)… Ils mangent (à) tous les vocables et se glissent au cœur (cliché ?) du quotidien, du familier. Tapis comme des animaux domestiques, ronronnant, caressant, ils envahissent chaque instant, chaque recoin, de la table du petit déjeuner aux coussins du canapé…

« Il avala ses tartines à belles dents. » Ce cliché s’introduira même  sous les chicots d’un vieillard sous prétexte qu’il est affamé. « Il buvait comme un trou. » est censé décrire quiconque boit sans modération mais un trou d’argile, par exemple, n’absorbe pas l’eau : il est imperméable et toutes les flaques que nous apercevons dénoncent cette réputation abusive.

Passons au salon : « Affalé dans le canapé, tout alangui, il se vautrait … » Certes, il est difficile de se dresser dignement (cliché ?) sur son séant sur la plupart de ces réceptacles avachissants… Admettons qu’après cette pose, l’homme se lève pour échapper à l’adipeux et s’éloigne, il le fera « à toutes jambes »

Vous me direz ce sont là des expressions pas fatalement des clichés… Admettons, mais il faudrait déterminer des critères rigoureux et se montrer vigilants face à ces envahisseurs qui s’emparent tout à la fois de notre vocabulaire et de nos habitudes, de nos mots et de notre espace mental et polluent notre espace tout court : « La pluie tombait à seaux… » « Il tombait des cordes ». Une amie allemande disait : il tombait des ficelles, ce qui avait le mérite de transformer la grosse pluie en bruine.

Comment apparaissent les expressions et comment les emprunts puis les répétitions en font des clichés ? Examinons l’étymologie et la philologie sans omettre la psychologie et la sociologie. « Quelle galère ! » se réfère aux forçats et fut propagé dans les années soixante par les musiciens de studio avant d’atteindre le citoyen lambda (citoyen qualifié antérieurement de basique ou de commun des mortels...) puis de disparaitre sporadiquement.

« C’est la cerise sur la gâteau. » a resurgi à une époque récente où les gâteaux n’arboraient plus de cerise en leur centre, une époque de mousses plus ou moins insipides. Dès son introduction, ce côté désuet en fit le charme.

Drastique a détrôné draconien, peut-être parce que la crise s’aggravait ou pour introduire de la variété quand l’économie n’en offrait plus.

Nous avons actuellement, c’est très tendance (voilà un cliché) : procrastination. La procrastination est infiniment plus grave que la passivité, l’atermoiement et autres mollesses… Avec procrastination, on touche du doigt le pathologique.

Je pourrais poursuivre la liste mais, voilà, mon seul objectif était d’exprimer mon exaspération à entendre sur tous les médias des « voilà » retentissants quoique bredouilleux. Par ailleurs, je redoute de découvrir dans mes écrits… des clichés ! Je les sens à l’affût dans les arrondis de mes courbures de phrases, dans leurs circonvolutions convenues qui me lassent ou me délassent, dans mes récurrences habituelles qui raturent mon âme. « Ma tête à couper » que quelques uns nichent dans ce blog telles des termites grignotant la substance du langage, tels des vautours qui, plantés sur les cactus de la syntaxe, guettent en se léchant les babines la pulpe de mes songes littéraires.

Lutter seule ne peut aboutir et je m’y épuise.

Que faire ?

Rejoindre des experts du langage, des oulipotes genre Georges Perec ?

Rédiger une pétition : « Boycottons : voilà ! »

Envisager un référendum : « Êtes-vous pour ou contre l’utilisation d’un langage stéréotypé dans le seul but d’avoir l’air de son temps ou pour pousser le jeunisme jusqu’à son centenaire ? »

Lancer une campagne d’extermination du cliché ?

Opter pour le silence et la page blanche ?