Cinq histoires pour une photo

– C’était une salle de cinéma. Lorsque la porte bleue s’ouvrait, la foule se précipitait à gauche vers le guichet derrière lequel plastronnait une fausse blonde exagérément maquillée qui dardait fièrement ses gros seins comme pour évoquer les films de Fellini. À droite, un escalier en colimaçon plongeait au  sous-sol où étaient entreposées des affiches et des pancartes annonçant :  Charlot, Buster Keaton ou des films de cape et d’épée, des péplums et, de temps à autre, des films sur la révolution mexicaine, en noir et blanc comme les haillons des révoltés dont j’épousais la cause. Une cloison d’un mètre nous séparait de la salle obscure d’où montaient des relents de poussière, de désinfectant, de sucreries et de rêves. Les sièges, jadis en velours rouge pimpant, copiaient désormais la teinte sang séché du banc fixé au mur.  À l’entracte, il accueillait des grappes de gamins tassés sur le siège ou en amazone sur les accoudoirs. Ils fumaient et braillaient, jusqu’à ce que le propriétaire, en chemise blanche, les fasse se lever d’un  haussement de sourcil afin de l’offrir à des matrones hautaines ou à quelques vieilles toute tordues.  Là où il ne reste que le pisé, à croire que la couche de plâtre a été enlevée exprès pour effacer notre jeunesse, s’étalait en lettres dorées : Excelsior,  une guirlande de lampes les couronnait. Tout l’univers surgissait des bobines magiques qui nous transportaient vers des aventures justifiant, enfin, l’existence.

– Non ! C’était un bordel, il s’appelait l’Éden. Le bleu et le blanc de la vierge des douleurs se voulaient un leurre pour les prudes, le feu de l’enfer couvait dans l’orange. Seul un battant de la porte s’écartait face à une table encadrée par deux couloirs qui desservaient les chambres. Une odeur de jasmin flétri et d’antimite s’en échappait. La patronne, une rouquine grasse, tendait au client, contre paiement, un numéro de chambre où se trouvait une femme. Pas question de choisir.

– Non pas ! C’était un garage, les odeurs d’huile et d’essence envahissaient la rue. On y réparait  mobylettes,  vélos, tracteurs et de vieux tacots. Pour entrer, il fallait secouer la boîte en ferraille que vous apercevez accrochée à un fil de fer. Les propriétaires, deux frères, portaient des vêtements qui avaient été bleus comme la porte pour devenir brunâtres comme le banc. Ces combinaisons, raides de crasse, les maintenaient debout, mais zigzaguant sous l’effet de la tequila.

– Vous racontez n’importe quoi ! Vous ne savez même pas où se trouve la ville de Jonacatepec, ni que ce nom signifie : colline aux oignons. C’était une boutique où l’on pouvait acheter des oignons, des piments et du vin doux.

– Non point, je me souviens d’une auberge où je me suis régalé de guacamole et de tortillas.

Photo Denis Folch