Déjeuner d’auteurs

Pendant tout le repas offert par les organisateurs du Salon du livre, il  monopolisa la parole.

– Je ne dis pas que je suis écrivain, je trouve ça prétentieux : je suis romancier.

L’écrivain, en face de moi, manifesta quelque agacement.  Je fis remarquer qu’être écrivain, c’est travailler l’écriture qui est notre matière première comme un sculpteur travaille la terre, un peintre les couleurs… J’aurais pu ajouter que pratiquant tous les genres littéraires, je considérais le roman comme l’une des formes les plus exigeantes – les bons romans. Imperturbable, il poursuivait. Il m’est arrivé de feuilleter ses livres : peu volumineux, en gros caractères et coûteux. Sans doute ai-je lu quelques lignes.

J’ai tenté une échappée vers les auteurs situés à ma droite.

– Soulages, c’est du foutage de gueule.

Ayant visité récemment le musée de Rodez et revu les vitraux de Conques, j’ai témoigné de l’intérêt et de la beauté de ces lieux.

– Je ne vois pas en quoi des lignes noires seraient de l’art.

Le noir réfléchit la lumière et… Mon interlocuteur, un grand type qui écrit d’assez beaux poèmes, si je me souviens bien, a sauté du noir à l’urinoir de Duchamp.

– C’est une démarche à resituer dans l’Histoire de l’art. Son remarquable tableau « Nu descendant l’escalier »…

J’aurai pu développer, mais une toile blanche fut interpelée… J’ai murmuré :

– Vous avez appris à lire, à écrire, vous avez étudié des récitations, depuis l’enfance vous lisez des livres, en matière de peinture ou de musique, il est souhaitable d’acquérir quelques codes pour faciliter l’approche  de ces arts…

– Mozart, c’est beau, pas la peine d’apprendre…

– Beau, maintenant et pour certains d’entre nous, pas forcément à son époque ou pour des personnes qui ont grandi en entendant des musiques asiatiques, arabes ou du rap…

J’ai réorienté mes oreilles vers la gauche. Le « romancier » débitait toujours des propos péremptoires. J’ai noté qu’il avait prononcé plusieurs fois : « Ma compagne m’a dit… » Quel message voulait-il faire passer par ces évocations, lui qui, manifestement, ne s’intéresse qu’à lui-même ? Une femme partage ma vie : ne vous arrêtez pas à mon physique lourd, vulgaire, grossier. Nous ne sommes pas mariés, je suis pour la liberté de la femme, du reste je la cite.  Donc je confirme, je ne suis pas un gros macho répugnant en dépit des apparences.

Il insista sur le fait qu’ayant travaillé très jeune, il était un jeune retraité pas comme les écrivains prétentieux qui l’entouraient, bourgeois cacochymes  pleins de morgue et de mépris et, par ailleurs, je me suis fait tout seul !

Il trouva le repas offert trop succinct. Il regrettait le resto d’avant : « Qu’est-ce qu’on s’marrait !»

Je déplore que ma pensée s’attarde sur ce type et sur ses propos…