Deux inconnus

Lors d’un voyage en Bretagne, à Beg Meil où Proust séjourna, je pris des photos de paysages, d’églises, d’oiseaux et, pour la première fois, d’inconnus. Il est vrai qu’il faut un appareil avec zoom pour pouvoir voler discrètement des visages.

Tout d’abord, une mariée entourée d’une nuée d’enfants endimanchés, des clichés amusants ou jolis : une fillette, enveloppée de tulle, délicieuse et légère comme un elfe puis, du côté de la pointe de la torche, un jeune garçon. En fond, le beige gris de la plage, son visage incliné dans un mouvement énergique mais élégant. De trois quarts, il replace ses cheveux blond foncé bousculés par le vent qui retombent en désordre sur ses épaules. Ses yeux fendus regardent vers le large, la bouche est entrouverte, son vêtement couleur abricot rehausse sa peau dorée.

Aussitôt après, j’ai intercepté une jeune femme aux cheveux longs bruns, même fond, un léger flou.  De son bras droit levé, elle maintient un chapeau genre borsalino crème avec un ruban noir, des lacets en daim fauve enroulés à ses doigts retiennent des sandales qui pendent derrière son épaule, un sac en tissu écru y est accroché. Les ombres du bras et du chapeau découpent son décolleté bordé par le col arrondi d’un maillot noir. Le chapeau dissimule ses yeux. Elle arbore un grand sourire : spontané ou à l’égard du photographe ?

Je les regarde, troublée par leur beauté et j’écris ces lignes. Écrire, les décrire… Publier ce texte sans les photos n’a pas de sens, mais le droit à l’image l’interdit, l’enfant étant doublement protégé. Bien que les yeux de la femme n’apparaissent pas, je la crois reconnaissable. Cacher les yeux de l’enfant et le sourire de la femme ? Quel dommage !

Mais supposons que la femme découvre, au hasard du web, la photo  et me donne l’autorisation de partager son sourire si communicatif… Un texte comme une bouteille à la mer, dans l’attente d’un sourire.