Les dames blanches

Les dames blanches ou chouettes-effraies apprécient la tranquillité, mais s’accommodent d’une présence discrète de l’homme, peut-être que leur persécution fut moindre que celle des chouettes hulottes.

Un couple s’était installé dans le pigeonnier dressé sur la maison. Il fut restauré, les ardoises redevinrent tuiles. De l’arbre d’en face, les dames blanches surveillaient les travaux. Le dernier raccord exécuté, elles réintégrèrent leur demeure en passant par le fenestrou aménagé jadis pour les pigeons.

Dans les maisons du Quercy, posséder un pigeonnier était un signe de richesse, car il fallait disposer d’une importante surface pour être autorisé à en construire un. Les déjections des pigeons (la colombine) constituant un engrais riche qui figurait dans les dots et les héritages.

Le pigeonnier  en pierre, tapissé intérieurement de pisé, mélange de terre et de paille pour l’isolation, accueillait dans son épaisseur des poteries servant de nichoirs. Trop étroites pour les dames blanches, elles préféraient se percher sur le rebord de la fenêtre ou sur les liteaux d’où elles observaient, immobiles, les visiteurs.

Les soirs d’été, à l’heure où le jour bascule dans la nuit, elles prenaient leur envol avec une parfaite ponctualité, partant à intervalles réguliers aux quatre coins du ciel.

Leur souffle puissant semblable à la respiration d’un océan de plumes berçait mes nuits. Néanmoins, le premier été un bruit de tempête provenant du pigeonnier m’éveilla. Inexplicable ! Elles vécurent là plusieurs années, elles ou leurs descendants. Les dames blanches soucieuses d’éduquer les jeunes rapportaient des proies vivantes pour initier les novices : une mise à mort plus ou moins rapide s’en suivait. Poursuites et cris bousculaient mes rêves.

Une chambre fut aménagée sous les combles, une petite fenêtre ferma l’ouverture du pigeonnier. Le soir même, des coups retentirent. Craignant qu’une dame-blanche ait été enfermée, je montai par l’échelle, mais ne vis rien. La nuit suivante, les coups se répétèrent : elles tapaient à la fenêtre pour rentrer chez elles !

Extraits du recueil Aléas