L’unicité ou l’omelette

Selon les civilisations ou selon les époques et même selon les périodes de la vie, les individus aspirent soit à être conformes aux attentes et à se fondre dans la masse, soit au contraire à s’en distinguer par choix ou nécessité.

Mon Maître m’avait dit ou avait dit (nous étions plusieurs autour de la table), cependant son regard me pointait : « Quoique tu fasses, quelqu’un l’a déjà fait. » Devant mon expression dubitative ou contrariée, il ajouta : « Même cette omelette, si tu la plaques sur ta tête, quelqu’un l’a déjà fait. »

L’idée que tout n’était que répétitions en conformité avec la raison ou la folie, malaxant la pensée ou l’absurde, l’ignoble ou le sublime, la haine ou l’amour…, me déplaisait au plus haut point.

Le slogan publicitaire d’une marque de vêtements affirme « En D… je suis moi », ce qui implique un moi multiple, une forme de clonage. La mode illustre bien cette propension à se conformer à une tendance ou à s’en distinguer pour en rejoindre une autre.

Évidemment, l’unicité conduit à la solitude. Était-ce là mon objectif ? Créer une œuvre appelle un nouveau regard, mais une œuvre n’a d’existence qu’à travers les autres. Il faut qu’elle soit singulière, mais néanmoins transmissible à un moment ou à un autre.

N’être connu et reconnu que par quelques-uns confine à la secte ; les réseaux multiplient les clans, au mieux les groupes, une myriade de juxtapositions.

Mais revenons à l’omelette. Si je la dégustais tranquillement en me souciant uniquement  de son moelleux et de sa belle couleur, en repoussant le souvenir de ce repas déjà ancien et le vœu actuel que chacun puisse se rassasier d’une bonne omelette, je comblerais mon unicité en toute fraternité.