Pouvoirs
Dans ce monde parallèle, quelques individus avaient confisqué le pouvoir tout en prétendant le contraire : nulle structure verticale hiérarchisée, tous égaux en droits. Leur objectif : assurer le meilleur pour le pays.
Ils utilisaient une langue unique, pratiquaient des règles très spécifiques, très codifiées, forcément réservées aux initiés, tout en invitant les néophytes à les rejoindre, leurs apports devant servir à enrichir le pays et à favoriser son rayonnement.
Chaque contribution devait être présentée dans les formes imposées et serait examinée rigoureusement avant d’être acceptée ou pas.
Le postulant plein d’enthousiasme et de bonne volonté s’appliquait, mais la complexité des contraintes et les codes abscons le conduisaient à l’échec. Recommencer : se renseigner, consulter, réitérer les tentatives. Parfois l’offrande était jugée trop insignifiante, parfois trop conséquente : la même ! Ce qui convenait à l’un, ne convenait pas à l’autre. Ballotté, l’impétrant s’empêtrait de plus en plus, doutait, se décourageait. Initiation ou rejet ?
L’entité légiférait par décrets placardés sous forme de bandeaux. Quelques rares intervenants critiquaient la pratique des « bandonéants » et le bruit courrait que certains termes les déclenchaient automatiquement. Aussi les malheureux se déplaçaient à travers les mots comme sur un champ de mines : un mot suffisait à annuler des mois d’efforts, rendant l’expulsion imminente.
L’aide prodiguée se diluait dans les consignes ardues, absurdes. La plupart se retrouvaient démunis, tétanisés. Les principes qui devaient conforter respect et confiance, provoquaient peu à peu le rejet, d’autant que l’arbitraire, la malveillance et le sadisme transpiraient.
Manifestement, certains pratiquaient la rétention d’informations, d’autres abusaient de leur prérogatives, d’aucuns se rengorgeaient de leurs savoirs et narguaient les prétendants tremblants. Était-ce en pleine conscience ou parce qu’ils évoluaient dans un univers incommunicable ? Un jour, sans lendemain, ils consentirent à reconnaître que le genre féminin était sous-représenté.
Bien évidemment, l’aspirant devait se garder de s’énerver, de les froisser, de les contrarier sous peine d’exclusion définitive. Sans cesse repoussé, devait-il attendre humblement, supplier, renoncer ? Une nouvelle version du Château de Kafka ?
Au fil des ans, un culte à l’emblème du pays -deux montagnes inversées- s’instaura. Il convenait de prêter allégeance à cette forme double et creuse. Le mot soumission apparaissait çà et là dans les statuts.
Se soumettre ou se démettre ? Abandonner ou lutter ?
Sculpture (brisée) de Pascale Bas
4 Comments
Marie mars 13, 2021 - 10:15
Le comité des citoyens face à E. M. ?
Valentina mars 03, 2021 - 10:51
Science-fiction ou héroïque fantaisie ? Suspens…
Combe nègre mars 02, 2021 - 08:54
Si c’était un début de roman ?, j’aimerais lire la suite…
Andrea mars 01, 2021 - 08:17
Dénonciation métaphorique inquiétante qui pourrait concerner plusieurs instances… Un texte ciselé à l’image de cette émouvante sculpture.