Obsession

Obsession : écrire. Si un roman est en cours, j’ai besoin de temps et de concentration. Si l’histoire tient la route et si les personnages s’en mêlent, les pannes ne durent pas. Une fois le roman terminé, je suis à la fois satisfaite et perdue : il est urgent de  trouver un autre sujet. Quelques nouvelles me tiennent compagnie un moment, ainsi que les textes destinés au blogue. Certains ne me conviennent que modérément, mais l’actualité ou une colère en font surgir de nouveaux qui prennent le pas. Bien évidemment,  lorsque je dois présenter une conférence ou réaliser une émission de radio, ces activités m’absorbent.

Il arrive qu’un fait contingent escamote cette obsession. Ainsi récemment : comment se faire vacciner ? Puis, ai-je un problème cardiaque lié à l’injection ? Est-ce une coïncidence ou bien le stress ?

Lorsque les angoisses du jour (ou de la nuit) s’estompent, l’obsession resurgit. J’exécute quelques gammes : je file une pensée, je piège un mot ou je décortique le collage d’un ami pour écrire une histoire suggérée par son image.

« Debout devant la fenêtre, la jeune femme… » Deux paragraphes plus loin, il va falloir décider de la destinée de cet être de papier. Disposant d’une centaine de collages de cet ami, je les examine en quête d’une suite. Des jeunes filles blondes apparaissent sur plusieurs et ce n’est sans doute pas un hasard.  Un visage oblong se montre derrière un rideau en dentelle, une jeune femme en robe de mariée saute gaiement dans la cage d’escalier… Mieux vaudrait lui adjoindre un comparse différent :  un jeune prince très XVIIIe, un homme qui lit en marchant, une amie brune romantique, une femme voilée, un chien, un perroquet, un objet, un tableau, l’enfance, la mort, un voyage… L’Égypte revient plusieurs fois. J’attends le déclic. Surgissent  des monstres nés de paréidolies, apparemment bonasses, tout comme ce revolver sur la crosse duquel est gravé : quiero vender todas mis obras… (Je veux vendre toutes mes œuvres.)

Une douleur dans la poitrine me détourne de cet élan créatif. Je dois me rendre aux urgences si… Mais les autruches, même angoissées, se cachent la tête dans le sable des mots : je reprends mon inventaire — un bateau, un chat, deux hiboux, des mots griffonnés sur une page arrachée, un violoncelle, une orange, des ombres d’hommes menaçantes, des femmes dissimulées par des éventails et des kimonos, une pendule, une montre…

Tout ceci devrait enclencher une histoire, sinon… mes doigts fébriles s’emparent du revolver. 

Collages A. Durandeau

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