La poésie : une drôlesse

« Le printemps des poètes », saison créée à la fin du XXe siècle imposant chaque année un thème. L’un d’eux : Quel fut votre premier contact avec la poésie ?

Pour la plupart, la nature joua le rôle de Muse : bruissements de feuilles, valse des vagues, velouté nocturne, odeurs fraîches ou ardentes… Le corps pour quelques autres :  douceur d’une main, fantasmes caressés en catimini, quête de l’interdit ou encore l’ailleurs, le  voyage impossible.

Pour ma part, la poésie me vint par bouffées. Enfant, les vibrations des mots provoquaient en moi une grande confusion : ils ne s’ajustaient pas au monde ou le monde à eux… Du reste, je les prononçais difficilement ou les altérais, pas même capable de prononcer correctement mon  prénom ! J’en bégayai.

Je captais en les déformant involontairement les propos des adultes. Ainsi l’harangue du crieur de journaux me parvenait sous cette forme : « Demandez le journal, prends garde fausses nouvelles.» Il est improbable que le vendeur ait appâté ainsi le chaland et j’étais trop jeune pour avoir une telle opinion.

Les comptines, les poésies apprises ne prenaient sens ou plutôt ne revêtaient de l’importance qu’en fonction des réactions qu’elles provoquaient sur l’entourage : émotion ou amusement surtout si des gestes maladroits les mimaient.

Une institutrice aux cheveux blancs nous lisait avec gourmandise des poèmes. Son visage exprimait la même extase que lorsqu’elle buvait le lait distribué une fois par semaine dans les écoles. Les yeux fermés, elle l’aspirait délicatement à l’aide d’une paille. Elle me donnait envie de boire du lait et de croquer la poésie.

Je trouvais le poème de Verlaine « Après trois ans » très beau sans y comprendre grand-chose. « Ayant poussé la porte étroite qui chancelle… » Que signifie chancelle ? Ça ressemble à chandelle…  La porte peut-elle chandeler ? « Le vieux tremble sa plainte sempiternelle » Ignorant tout de l’arbre, je plaignais le vieillard , quant à  Velléda et réséda, des exotiques ! Mon frère illustrait mon cahier de récitations : fables de La Fontaine, poèmes. Je revois ses dessins et me rappelle quelques textes.

Peu à peu, les mots prirent sens, mais était-ce le bon ? Il m’arrive encore de tourner un mot dans ma tête ou en bouche comme un étrange caillou.

Plus tard, j’ai rencontré un poète pliant les mots à sa volonté pour nous offrir une clameur de révolte et d’amour.

Par la suite, je devins écrivain alors les mots se transformèrent : limon fondateur, graphismes aériens, espace d’éternité. Dans les mots je me perds, me trouve et me retrouve. Ils jalonnent des chemins de traverses où je me risque en espérant que d’autres me suivront.

Photo : Livre en argile – poème « écrire »