Bruits familiers

J’aime entendre les bruits des maisons : grincements de portes, craquements de meubles, bourdonnements diffus… Je jubile à l’écoute d’un vieux feuilleton radiophonique amplifiant  les sons pour suggérer décor et action.

Ce plaisir remonte-t-il à l’enfance ? Après le repas, dans la petite cuisine où le poste de radio trônait sur une étagère, nous écoutions feuilletons, chansonniers, mais aussi pièces de théâtre et nouvelles. Ma mère exécutait des tâches ménagères, mon frère dessinait ou apprenait ses leçons, j’écoutais.

Je me souviens de l’histoire d’un roi empoisonné par son frère pendant son sommeil  il introduisait du poison dans son oreille. Ce récit augmenta encore ma peur du noir, ajoutant au risque d’un assassin sous le lit, la venue d’un frère félon. Le drap sur la tête, j’étouffais. Un critique spécialiste de Shakespeare précise que le dramaturge dénonce ainsi les mots mensongers qui empoisonnent les esprits. Des décennies plus tard, mon frère commit ce crime.

Autre histoire terrible : hurlements et  grognements accompagnaient un double meurtre de femmes. Le meurtrier s’était glissé dans l’appartement par le conduit de cheminée : un singe ! Affolé par les cris des femmes terrorisées, il les avait massacrées en dépit des appels désespérés de son maître : un marin. Emporté par son imagination, Edgar Allan Poe avance des accusations très injustes à l’égard des primates.

La musique « Tempo di suspense » qui introduisait « Les maîtres du mystère » me terrifie encore. Les ondes Martenot utilisées par le compositeur, André Popp, contribuent à sa menaçante étrangeté.

Tous les enfants réagissaient-ils ainsi ? Comment s’en sortent ceux d’aujourd’hui confrontés à des déluges d’images violentes virtuelles et réelles.

Ma vie n’est que trop envahie par l’inquiétude : il est évident que tout est en place pour la troisième. Pourtant le plaisir ressenti à l’écoute d’un parquet qui grince, d’un hululement nocturne demeure : ces bruits  intensifient l’instant, convoquent des images me transportant dans l’imaginaire.