Quand le passé…

Les vestiges d’une ancienne station thermale émergent d’un enchevêtrement de ronces et de lianes.

Le pavillon des eaux s’élevait sur des colonnes style temple antique curieusement coiffé d’une toiture en forme de pagode, elle-même surmontée d’une coupole. Au milieu, un comptoir circulaire décoré d’une mosaïque aux motifs floraux vert et bleu où  les tasses des curistes étaient accrochées. Au centre, la fontaine avec ses  robinets en bronze,  veillée par la statue de la déesse Hébé dont les  attributs -un vase et une coupe- se reflétaient dans l’eau salvatrice.

À proximité, le kiosque à bouillons proposait des consommés d’herbes pour compléter le traitement. Plus loin, une salle sur pilotis accueillait des orchestres  : concerts et bals champêtres.

Sur le lac, des barques se languissaient. Des calèches et quelques voitures effectuaient des navettes entre le site et l’entrée du village où un vaste hôtel orné d’un escalier grandiose enchantait ceux qui y séjournaient. Un restaurant et un casino rythmaient les jours et surtout les soirées de ces clients distingués et fortunés.

Dans le dernier quart du siècle, la fréquentation diminua. La société qui gérait les eaux abandonna leur exploitation. La taille de l’hôtel ne correspondant plus aux besoins, il ferma à son tour, ainsi que le restaurant et le casino.

Très vite, la nature commença à envahir les constructions, dissimulant en partie le pavillon et le kiosque. La mousse s’empara du grand hôtel, des filets de rouille suintaient  des volets, les balcons s’effritaient laissant apparaître leur armature de fer. Des actes de vandalisme accélérèrent la dégradation. Le vol de la statue d’Hébé, symbole de la jeunesse et de la vigueur, paracheva le désastre.

À la nuit tombante, je marchais sur la route, observant avec tristesse les traces de ce glorieux passé. J’accédais au lac par l’étroit chemin tracé par les pêcheurs. Entendant des clapotements et des murmures, je me dissimulai derrière un buisson d’aubépine craignant de perturber un rendez-vous galant.

Une barque s’avançait poussée par  les rames d’un homme en costume blanc et canotier, en compagnie d’une femme vêtue d’une robe de dentelle écrue qui tenait délicatement son ombrelle, détail surprenant même avec la pleine lune.

L’embarcation atteignit la salle sur pilotis d’où s’échappait une musique suave. Le couple monta lentement l’escalier, parvenu à la galerie, il virevolta vers la salle au rythme de la mélodie. À chaque volte, la lumière s’intensifiait révélant d’autres danseurs. Les robes longues et les châles flottaient accentuant l’impression de fluidité.

Ravie par ce bal costumé, coloré et charmant, je suivis la bordure du lac assez praticable et me retrouver sous la salle. Une mazurka avait succédé aux valses, pourtant je n’entendais pas le martèlement des pieds sur le plancher. Je montai avec précaution : des marches manquaient, d’autres branlaient. J’atteignis la galerie : les danseurs s’immobilisèrent, la lumière tressaillit, la musique exécuta quelques notes avant de faire silence.

Confuse, je voulus m’excuser, quand un frôlement me déséquilibra, suivi d’un souffle glacé qui souleva la poussière et les feuilles qui jonchaient le sol.

La lune éclaira la salle : toiles d’araignée,  gravats et détritus.