Journal d’un épouvantail

De mars 2023 à janvier 2024

Comme je vous l’ai dit précédemment, j’appartiens à une nouvelle génération d’épouvantails dont le rôle est de protéger les maisons : tâche ardue et risquée.

Une première agression me culbuta réduisant quelque peu ma bedaine. Quinze jours plus tard, une seconde attaque brisa ma colonne vertébrale, m’’inclinant en diagonale sur la façade ; preuve qu’un dangereux prédateur était passé à 15 cm de la maison, même plus éclairée la nuit puisque le réverbère trépassa lui aussi en mars.

Inopinément, j’apprends que la désignation « hors gabarit » s’accompagne de dérogations pour les engins agricoles, les transports d’animaux et d’aliments. Il faudrait, me dit-on, faire intervenir une notion de hauteur. Alors j’ai suggéré que la lumière soit suspendue au milieu de la chaussée comme les guirlandes de Noël.

Déguenillé, quasi à genoux, la troisième agression m’a estourbi gravement. Après des soins intensifs, on disposa autour de moi des panneaux pour soutenir mon combat quand surgit un bolide, plus large que la largeur de la rue, qui me percuta. Selon un ami et photographe qui passait par là : toute cause a besoin d’un martyr pour progresser – éventuellement.

Après un coma et un séjour en réanimation, la lutte s’intensifia. J’ai résisté contre vents et marées, camions et chauffards. Certes, la gouttière est à terre, mais j’ai fait de mon mieux. Merci à tous ceux qui ont soutenu mon combat.

La mode étant d’accorder une nouvelle vie aux choses : j’ai bon espoir. De fait, transféré hors du village maudit, je coule des jours heureux en compagnie de trois poules rousses d’excellent lignage : gourmandes et bavardes.

Les réparations de la maison ont eu lieu pour une somme conséquente. Par ailleurs, un étroit trottoir a été surélevé afin de protéger la maison dont j’avais la charge. Un quart d’heure après cet  aménagement, un quatre-quatre le chevaucha laissant la trace noire de son gros pneu sur la bordure blanche.

Donc la menace  pour le bas de la demeure persiste, quant au haut nul ne s’en soucie. Dès lors, quelles perspectives  ?

Une voisine suggéra de subtiliser l’une des balises rouges de l’entreprise chargée des travaux pour l’installer en renfort. Elle propose de bomber le nom. Même sans l’indication, sa provenance sera évidente et pernicieuse. Hélas, mise en protection provisoire, elle fut renversée en dépit de son poids et cassée en dépit de sa robustesse, par chance la descente de gouttière neuve survécut.

Il serait possible de disposer sur la bordure une jardinière en ciment remplie de terre et de fleurs, bien que la précédente ait été atomisée (la plante  sauvée). Troisième option : me réinstaller, mais franchement, j’hésite !