Disparaître au quotidien
Le phénomène des disparitions volontaires m’intéresse.
Pourquoi partent-ils ? Comment s’organisent-ils ? Que deviennent-ils ? Leur vie est-elle très différente de la précédente ? S’inventent-ils un passé ?…. Finalement, ils se créent comme un écrivain crée un personnage.
J’ai écrit une nouvelle sur ce thème puis un roman « L’autre Côté ». Personnellement, j’ai envisagé plusieurs fois cette « solution », sans la concrétiser, hormis à travers les mots.
Il y a, environ, 4 000 disparitions annuelles en France. Le pays qui bat les records est le Japon.
Surprenant phénomène. Quoique, à y bien réfléchir… Nous agençons ou subissons des disparitions au quotidien sans même quitter nos charentaises.
Certains de mes amis ne m’ont plus donné signe de vie sans que je sache pourquoi. Ils ont « profité » ( ?) d’un déménagement, d’un départ en retraite ou, à défaut, ils se sont éclipsés sans le moindre prétexte. Ils ont « tourné la page » sans regret, sans remord. Parfois ces ruptures m’indiffèrent, parfois j’en souffre et m’interroge pendant des mois, des années. Ai-je dit quelque chose de blessant, de stupide ? Mon comportement a-t-il déplu ? N’ai-je pas été assez attentive à leur existence ? Assurément, mon obsession pour l’écriture doit en lasser plus d’un…
Je leur ai adressé une lettre, j’ai attendu, j’ai espéré…
Évidemment, de mon côté, il m’est arrivé de « couper les ponts » avec certains. Peut-être se sont-ils également interrogés mais, s’ils m’avaient fait signe, j’aurais donné suite par un courrier ou un coup de fil. Les liens se seraient distendus en douceur. En fait, trois personnes m’ont relancée et j’ai renoué des relations en dépit des années écoulées ou de l’éloignement. Finalement, de nouvelles ruptures, souvent de leur fait, ont mis fin aux retrouvailles qu’ils avaient sollicitées…
L’amitié rompue peut être vécue dans la douleur comme la fin d’un amour.
Mes ruptures amoureuses furent parfois subies, parfois voulues. Dans les deux cas, tout contact a cessé. Néanmoins, si ces individus avaient eu des activités artistiques : enregistrements musicaux, publications de livre, expositions, j’aurais suivi leur cheminement à la fois par goût des arts et par curiosité. Eux, à ma connaissance, ne se soucient nullement de mes créations. Rayée, abolie, niée, anéantie. Quelques fragments flottent : photos, objets, souvenirs, nostalgies, regrets, ressentiments.
Ces rejets ne sont-ils pas proches des comportements des disparus volontaires ? On s’éloigne, on oublie, on se reconstruit ailleurs.
Il m’arrive de comparer, parfaitement abusivement, ces attitudes à celles des lecteurs que je rencontre dans les Salons littéraires (mon côté obsessionnel). Certains visiteurs me disent avoir lu tel ou tel de mes livres. Non sans hésitations, je leur demande ce qu’ils en ont pensé. Deux catégories se dégagent : ceux qui ont éprouvé des difficultés à entrer dans tel ou tel roman, ce qui me désole et me perturbe et ceux qui sont enthousiastes. Certains les ont appréciés, voire aimés, et évoquent spontanément des passages. Évidemment, je m’en réjouis et m’attends à ce qu’ils en prennent un nouveau, hé bien non ! Cette attitude me plonge dans un silence méditatif, mais parfois je m’enhardis :
– Dans ce cas, vous en prendrez bien un autre ?
J’obtiens en retour, au mieux, un sourire.
Alors, l’envie de disparaître ressurgit. Quel pays choisir ? La Colombie pays des vautours noirs, des colibris courageux, des oiseaux de paradis, des toucans masqués… Quel sera mon nom ? Conception Olvidar.
Si dans quinze jours, aucun nouveau texte n’illustre ce blog, vous pourrez en déduire que je suis passée à l’acte !
Photo : Rodin – Plâtre de la robe de chambre pour la statue de Balzac
4 Comments
arbouge mai 11, 2016 - 10:39
L’autre est radicalement une énigme. Il faut renoncer à chercher à le saisir. Je crois que nous sommes des ectoplasmes plein d’illusions sur notre matérialité.
Biz néanmoins.
JL-N
Charl juin 28, 2016 - 06:09 – En réponse à : arbouge
That’s really shrewd ! Good to see the logic set out so well.
Trad : C’est vraiment subtil ! Et la logique est vraiment bien exposée.
arbouge mai 09, 2016 - 14:23
Nous sommes pris dans les mailles d’un réseau que nous avons nous-mêmes grandement contribué à tisser,
par commodité, par inclination, mais le revers de la médaille ,c’est la privation d’une certaine liberté,
des coupes dans nos relations, nos amitiés, même si c’est douloureux comment faire autrement…
Je n’ai pas envie de disparaitre, ni au quotidien, ni pour toujours…
En lisant ta lettre, j’ai pensé à un poème de Cavafis que j’aime beaucoup.
La Ville
Tu as dit : »J’irai par une autre terre,j’irai par une autre mer.
IL se trouvera bien une autre ville , meilleure que celle-ci.
Chaque effort que je fais est condamné d’avance;
et mon cœur-tel un mort- y gît enseveli.
Jusqu’à quand mon esprit va t-il endurer ce marasme ?
Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard,
je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie
dont après tant d’années je n’ai fait que ruines et gâchis ».
Tu ne trouveras pas d’autres lieux,tu ne trouveras pas d’autres mers.
La ville te suivra partout. Tu traîneras dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers;
c’est dans les mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs-n’y compte pas-
il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire.
Pas d’autre vie : en la ruinant ici, dans ce coin perdu, tu l’as gâchée sur toute la terre.
JP-B
arbouge mai 09, 2016 - 14:12
Ola Conception …
Je ne parle pas espagnol et ne vais pas pouvoir aller plus loin dans la discussion !
Le blog est sans lieu. Peut-être es-tu encore en France.
J’ai bien fait de m’inscrire à ton blog, la formule est parfaite. Je ne sais pas comment c’est possible, mais ça fonctionne.
Je ne suis pas attiré par les échanges sur internet, étant déjà tellement rongé par la toile! Et pourtant c’est avec plaisir que je t’ai lue. C’est agréable et comme je connais l’auteur, en lisant j’entends le timbre de ta voix. Et il est tellement caractéristique que tout de suite je suis séduit!
Tu sais, je me suis reconnu plusieurs fois dans ton texte, d’un côté et de l’autre! Le désir de disparaître m’a aussi plus que traversé l’esprit… Et de l’autre côté, j’ai trouvé que celui qui garde le silence me ressemble un peu. Je n’ai pas répondu à ton message récent. J’ai bien ressenti les conséquences à travers tes mots, mais les raisons ne sont pas celles que tu as envisagées.
La vie dépossède celui qui ne sait pas la vivre!
Et comme j’ai commencé à ouvrir mon livre, je peux avouer que je me laisse prendre dans le flux, dans une apnée qui dure une éternité.
Demain je reprendrai mon souffle, mais demain ne vient jamais.
Aucune interprétation possible à ma disparition. Ni de ton côté ni du mien. C’est la faute à cette bulle qui gonfle toujours plus et qui s’opacifie en séparant les êtres. Elle est faite d’activités incessantes, inadéquates dirait Spinoza ! Certainement pas celles qu’on voudrait.
Heureux alors de te lire ce soir avant de disparaître
ou de réapparaître…
AST